Cette crise n’est pas une crise comparable à celle que nous avons connues au cours des années 70 et des années 80. Il ne s’agit pas pour l’Europe d’une crise importée, due par exemple à une hausse des matières premières, entraînant une hausse des taux d’intérêts et un resserrement de la politique monétaire, etc. Il s’agit cette fois, et c’est vraiment la première fois que nous sommes confrontés depuis la guerre à une crise de cette nature, il s’agit d’une crise de l’endettement, il s’agit d’une crise dans laquelle le niveau d’endettement du secteur privé et non pas du secteur public, pose problème et doit être réduit de façon très conséquente.
Prenons l’exemple des consommateurs et c’est le premier paradoxe. Les consommateurs tendent aujourd’hui à devenir principalement des épargnants. On l’a bien vu l’an dernier, aux Etats-Unis, quand au deuxième trimestre des réductions d’impôts -d’un montant supérieur à plus de 100 milliards de dollars- ont été accordées. Plus de la moitié de ces réductions d’impôts a été épargnée par un consommateur américain pourtant jusqu’ici peu enclin (pour dire le moins) à maintenir ou augmenter son épargne. Cette fois les consommateurs américains ont utilisé ces remboursements d’impôts pour réduire leur endettement.
De la même manière, l’une des difficultés que présentent les plans de relance, et en particulier de relance par la consommation, est liée au fait que si l’on était amené (en faisant l’hypothèse que cela est possible) à augmenter le pouvoir d’achat, par une hausse du Smic, ou une baisse des impôts, il est très vraisemblable que ce surcroît de pouvoir d’achat serait pour une bonne part épargné, et donc n’aurait pas d’effet immédiat sur le niveau d’activité économique.
Deuxième paradoxe, les banques. Les banques sont –c’est leur raison d’être- des prêteurs. Nous constatons aujourd’hui qu’en fait ces banques tendent à réduire de façon considérable le volume de leurs crédits, durcissent leurs conditions d’octroi, ne répercutent que dans une faible mesure les baisses de taux d’intérêt auquels les banques centrales procèdent, et paradoxe encore plus criant, le matin lorsque les banques vont se refinancer au comptoir de la banque centrale par des prises de pensions, le soir même elles vont redéposer sous la forme de dépôts auprès de cette même banque centrale une partie des liquidités qu’elles ont empruntées le matin même. Et dans le même temps et pour les mêmes raisons, les banques centrales qui sont par définition des prêteurs en dernier ressort, doivent devenir des prêteurs en premier ressort, c’est-à-dire qu’elles sont de plus en plus amenées à se substituer aux banques et à financer directement les économies.
Enfin, si l’on regarde les Etats, on voit que ce qui leur est demandé aujourd’hui par leurs opinions publiques n’est pas de réduire leurs déficits publics, mais bien au contraire de les augmenter, afin précisément de contribuer à la reprise des économies. On est donc dans un monde où les perspectives sont considérablement inversées, un monde rempli de paradoxes où les consommateurs se mettrent à épargner, où les banques cessent de prêter, où les banques centrales au contraire essayent de prêter davantage et de se substituer au système financier en panne, où les Etats tentent de convaincre leurs opinions publiques qu’ils ont effectivement augmenté leurs déficits publics, ce qui contribue de fait à une relance de l’économie.
Dans un tel contexte, est-il donc possible d’agir sur le niveau d’activité, est-il possible d’accélérer la reprise, lorsque nous sommes confrontés à des comportements aussi paradoxaux, aussi difficiles à prévoir et à maîtriser ? La réponse est : en partie seulement. C’est une crise de désendettement, nous l’avons dit. Ce qui signifie que la dette du secteur privé dans les grandes économies doit être réduite, qu’un tel phénomène prend du temps et que donc il va falloir s’armer de beaucoup de patience.