La défense commune marque le pas

Les chefs d’Etat et de gouvernement ne se sont pas entendus sur la création d’un fonds de financement des opérations militaires, demandée par la France. L’Europe de la défense piétine, faute d’une volonté partagée.

Au moment où la France doit se résoudre à agir seule en Afrique, faute du concours de ses partenaires européens, il était illusoire de s’attendre à une relance de l’Europe de la défense par le Conseil européen des 19 et 20 décembre. Dans les mois qui ont précédé cette réunion, de nombreux rapports, dont ceux du Parlement européen et de la Commission européenne, ont appelé au renforcement de la défense commune au nom des nouveaux enjeux de la sécurité dans le monde. « L’émergence de la défense européenne est difficile, mais absolument nécessaire », a affirmé l’ancienne ministre socialiste Elisabeth Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, dans un rapport d’information, en avançant cinq raisons.

La première est ce qu’on appelle le « pivot » américain : la nouvelle diplomatie des Etats-Unis, davantage tournée vers l’Asie, doit conduire à un engagement européen plus important dans la gestion des crises. La deuxième raison est l’apparition de nouvelles menaces qui rendent indispensable une meilleure coopération entre les Etats de l’Union européenne. Troisième raison, les contraintes budgétaires qui entraînent une réduction des dépenses dans tous les pays et exigent plus de mutualisation. Quatrième raison, une base industrielle de défense européenne doit être préservée et consolidée. La cinquième raison enfin est plus politique : l’Europe de la défense contribue à l’influence de l’Europe dans la mondialisation.

La plupart des experts reprennent ces arguments en faveur d’une politique de sécurité européenne qui réponde enfin aux objectifs que s’est fixés l’UE. Les conclusions du Conseil européen montrent que les chefs d’Etat et de gouvernement sont apparemment d’accord pour avancer dans la voie d’une plus grande coopération. « La défense est une question importante, déclarent-ils. Une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) efficace contribue à renforcer la sécurité des citoyens européens et concourt à la paix et à la stabilité dans notre voisinage et dans le monde en général ». Aussi les Etats membres sont-ils invités à améliorer les « synergies » de leurs forces armées autour de trois axes prioritaires : opérationnel, capacitaire et industriel.

De l’incantation à l’action

Louables déclarations, mais dont on ne voit pas comment elles pourraient provoquer dans un avenir proche le rebond attendu. Soucieux d’en finir avec les incantations, les dirigeants français avaient souhaité des décisions concrètes. Elles restent à venir.

Au chapitre opérationnel, François Hollande avait demandé la création d’un fonds permanent de soutien aux opérations de crise. Ses partenaires étaient plutôt réticents. « Il va lui falloir beaucoup de force de conviction », commentait un haut fonctionnaire de la Commission européenne à la veille du sommet. Les diplomates français ont tenté leur chance. On a même agité l’idée de déduire les dépenses militaires du calcul du déficit. Mais pourquoi celles-là plutôt que d’autres, par exemple les sommes consacrées à la lutte contre la pauvreté, a-t-on objecté. Résultat : le texte adopté par les Vingt-huit se contente de dire qu’ « il y a lieu d’examiner sans tarder les aspects financiers des missions et opérations de l’UE » pour « améliorer » le système de financement. Maigre promesse.

Quant aux « groupements tactiques » que l’Union européenne a mis en place pour intervenir sur les théâtres extérieurs et qui n’ont jamais servi, le Conseil européen propose d’en accroître la « flexibilité » et la « déployabilité » pour améliorer les capacités de réaction rapide de l’Union. Il n’est pas question, comme on l’avait envisagé un moment, de les utiliser en Centrafrique. « Les groupements tactiques sont les seuls instruments de projection militaire de l’Union européenne, écrit Mme Guigou, qui propose de les mettre à la disposition de l’ONU « dans la phase préalable au déploiement d’une opération de maintien de la paix ». Le Royaume Uni, en particulier, n’y est pas favorable.

Au chapitre capacitaire, les Vingt-huit jugent « cruciale » la coopération dans le domaine du développement des capacités militaires pour maintenir des moyens appropriés en évitant les doublons et en comblant les lacunes. La mutualisation des équipements, qui vise à réaliser des économies d’échelle et à accroître l’efficacité militaire, devrait porter notamment sur les drones, le ravitaillement en vol, les télécommunications par satellite, dont on sait qu’ils ne sont pas suffisamment développés en Europe. Le commandement européen du transport aérien (EATC), qui coordonne le transport aérien militaire de cinq pays, dont la France et l’Allemagne, est donné en exemple d’une mutualisation réussie.

Rafale français contre Gripen suédois

Au chapitre industriel enfin, le Conseil européenne appelle à une base industrielle « plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive ». Il recommande « un marché qui fonctionne bien » et qui repose sur l’ouverture, l’égalité de traitement et des chances, la transparence pour tous les fournisseurs européens. On souligne, à la Commission européenne, que les Etats membres protègent encore beaucoup leur industrie de défense. Le rejet par le gouvernement brésilien du Rafale français au bénéfice du Gripen suédois rappelle l’intensité de la concurrence entre les Etats membres. Comme le note Mme Guigou, « tous les pays industriels ne disposent pas d’une industrie de défense et ceux qui en ont une ne partagent pas les mêmes conceptions ».

Le Conseil européen a confirmé les divergences de vues entre les Etats membres sur l’avenir de la défense européenne. Les progrès ne pourront donc être que lents et progressifs. Au moins le sujet a-t-il été mis, pour la première fois depuis cinq ans, à l’ordre du jour d’un Conseil européen. « Réunir les chefs d’Etat et de gouvernement pour évoquer ces grandes questions d’intérêt majeur est déjà un événement », estime Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman. Prochaines étapes : l’évaluation des progrès accomplis en juin 2015, la révision de la stratégie européenne de sécurité et, à terme, vers 2020-2025, la mise au point d’un drone européen.