La difficile succession de Javier Solana

Si le traité de Lisbonne entre en vigueur, le haut représentant de l’Union aura les pouvoirs d’un ministre européen des affaires étrangères. Il ne sera pas facile de trouver un successeur à l’actuel titulaire du poste, l’Espagnol Javier Solana.  

Au moment où la nouvelle administration américaine s’efforce de relancer les négociations sur les grands dossiers internationaux, l’Europe peut jouer un rôle plus actif dans le monde si elle se montre capable de mener une politique étrangère cohérente et inventive. On ne peut pas dire qu’elle brille aujourd’hui par sa présence, malgré ses efforts de médiation dans plusieurs conflits. On sait qu’elle souffre de ses divisions et de la difficulté de coordonner son action diplomatique. 

La nomination d’un ministre européen des affaires étrangères, en application du traité de Lisbonne, ne règlera pas tous les problèmes mais elle peut permettre des progrès notables. Si le traité est enfin ratifié, le nouveau titulaire de la fonction, qui succédera à l’Espagnol Javier Solana, portera certes, comme celui-ci, le titre de haut représentant, et non celui de ministre, comme le prévoyait le projet de Constitution européenne, mais ses pouvoirs seront sensiblement accrus.

Nouvelles compétences

Il disposera en effet de trois avantages par rapport à Javier Solana. 

1.Il sera en même temps vice-président de la Commission, chargé des affaires extérieures, ce qui lui donnera des moyens accrus, notamment sur le plan financier, et mettra fin à la rivalité qui a opposé Javier Solana d’abord à Chris Patten, ensuite à Benita Ferrero-Waldner, commissaires successifs aux relations extérieures depuis 1999.

2.Il présidera le Conseil qui réunit les ministres européens des affaires étrangères, aujourd’hui dirigé par le représentant du pays qui exerce la présidence de l’Union, ce qui lui permettra d’en fixer l’ordre du jour et d’en rédiger les conclusions. 

3. Il disposera d’un service diplomatique étoffé, constitué de fonctionnaires européens et de diplomates venus des différents pays ; ce qui lui assurera une expertise plus étendue et une plus grande force de proposition.

Le nouveau haut représentant se verra donc confier des responsabilités plus importantes mais en même temps sa tâche sera plus lourde. Il lui faudra en particulier redéfinir ses relations avec le président de la Commission, dont il dépendra pour certaines de ses missions, non pour d’autres, et surtout avec le président du Conseil, dont le mandat cessera d’être limité à six mois pour être porté à deux ans et demi, voire cinq ans. Avec ce dernier, dont le rôle sera plus important qu’aujourd’hui, le haut représentant devra former un couple aussi uni que possible.

Il lui sera également nécessaire d’établir une bonne coopération avec les Etats membres, notamment ceux qui, comme l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, voudront continuer à mener leur propre diplomatie. Le titulaire du poste devra faire preuve à leur égard à la fois de fermeté et d’esprit de conciliation pour que chacun trouve sa place dans l’action collective.

Dosages diplomatiques et critères géographiques

Pour toutes ces raisons, le choix de la personnalité appelée à diriger la diplomatie européenne sera difficile. Il faudra d’abord tenir compte des dosages politiques. Si la présidence stable de l’Union est attribuée à un social-démocrate, comme Tony Blair ou Felipe Gonzalez, dont les noms circulent, le haut représentant sera choisi dans le camp adverse. Dans le cas contraire, si la droite obtient à la fois la présidence du Conseil et celle de la Commission, on peut penser que le haut représentant sera, comme Javier Solana, issu de la gauche.

Des critères géographiques entrent également en jeu, les postes devant être répartis, dans la mesure du possible, entre petits et grands pays, entre le Nord et le Sud, entre les anciens et les nouveaux membres. Il n’est pas sûr que les grands Etats aient intérêt à présenter un candidat à une fonction qui pourrait éventuellement gêner leur propre diplomatie. 

Mais ce sont surtout les qualités personnelles du futur titulaire qui devront être prises en considération par les Vingt-sept s’ils veulent que l’Europe se dote vraiment d’une politique extérieure commune. En dépit des critiques dont la diplomatie européenne a été et est encore la cible, Javier Solana s’est révélé comme une personnalité forte, doté à la fois d’une solide vision politique et d’un dynamisme sans faille. Il faut lui reconnaître le mérite d’avoir mis sur pied en moins de dix ans la politique extérieure de l’Union.

Il ne sera pas facile de trouver un homme, ou une femme, qui manifeste les mêmes aptitudes. Il ne faudrait pas que, par prudence ou par tactique, les Vingt-sept s’entendent sur le nom d’une personnalité qui ne leur portera pas ombrage. L’Europe a besoin d’un ministre des affaires étrangères qui se distingue par son caractère, son énergie et son indépendance d’esprit.