La diplomatie de Sarkozy : un défaut de cohérence

Nicolas Sarkozy est arrivé à l’Elysée avec une volonté de « rupture » en politique étrangère comme dans d’autres domaines. Cette volonté s’est traduite par des initiatives parfois brouillonnes qui ont nui à la continuité et à la cohérence de son action.

Imprévisible ou réactive ? Le choix du qualificatif choisi pour qualifier la politique étrangère de Nicolas Sarkozy – le premier est d’Hubert Védrine, le second d’un haut diplomate du Quai d’Orsay —, importe finalement peu. Les deux veulent signifier la même chose : brouillonne. Pour le président sortant, c’est sans doute une qualité. Nicolas Sarkozy s’est adapté aux circonstances, ne se laissant entraver par aucun tabou pour changer de direction en fonction des événements. Un jour il reçoit le colonel Kadhafi, un autre il le bombarde. Un 14 juillet, il fait les honneurs de la fête nationale à Bachar el-Assad, un autre il réclame son départ.

Assad sur les Champs-Elysées

Les deux dictateurs avaient-ils vraiment changé entre les deux traitements qui leur a été infligé ? Il est permis d’en douter et il faut faire montre d’une bonne de naïveté ou de mauvaise foi pour affirmer : quand Assad a été reçu sur les Champs-Elysées, il n’était pas encore un assassin. La diplomatie française savait tellement à qui s’en tenir sur son compte que Jacques Chirac l’avait boycotté, le soupçonnant d’être au moins indirectement responsable de l’assassinat de son ami Rafik Hariri, ancien premier ministre du Liban.
Nicolas Sarkozy n’est pas un stratège, c’est un avocat. Il prend les dossiers comme ils viennent, les uns après les autres, et il défend avec la même conviction des causes parfois opposées. Il a commencé son mandat en disciple des néoconservateurs américains. La nature des régimes avec lesquels il faut traiter, importe, disait-il. Il se promettait de ne pas serrer la main « ensanglantée » d’un certain nombre d’autocrates, au premier rang desquelles il citait Vladimir Poutine. Le souci de faire des affaires et d’améliorer la balance commerciale de la France ne justifiait pas tout. Du moins était-ce la ligne qu’il se proposait d’imposer.

Volontarisme

Ces bonnes résolutions n’ont pas tenu longtemps et l’action diplomatique du président a oscillé au fil du temps entre la Realpolitik la plus pure et l’engagement humanitaire le plus affirmé, de la vente de porte-hélicoptères à la Russie, une première pour un pays de longtemps, à la croisade contre Kadhafi.
Le souci principal de Nicolas Sarkozy semble avoir été d’être toujours en action, sans cesse à la manœuvre, comme si le volontarisme suffisait à venir à bout des pesanteurs géopolitiques ou de la routine des diplomates pour lesquels il a professé publiquement un profond mépris. Même sur un dossier comme le conflit israélo-palestinien, sur lequel nombre de ses prédécesseurs et collègues ont échoué, il a annoncé des initiatives, des projets de conférence internationale, à Paris bien sûr. Beaucoup n’ont pas vu le jour, d’autres se sont perdues dans les sables. Mais peu lui importe, l’activisme lui tient lieu de doctrine.

Feu l’Union pour la Méditerranée

Il n’a pas toujours eu tort. Sa volonté de relancer le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée était une nécessité après l’enlisement du « processus de Barcelone ». Mais il ne suffit pas de réunir en grandes pompes à Paris quarante-trois chefs d’Etat et de gouvernement du nord et du sud sous le sigle de l’Union pour la Méditerranée, pour effacer les obstacles qui s’opposent depuis des années à cette coopération. Dans sa hâte d’aboutir, il a misé sur des autocrates comme Moubarak ou Ben Ali, sans manifester le moindre intérêt pour les sociétés civiles des pays arabes. Leur chute n’était certes pas prévisible ; le fossé entre les dirigeants et leurs peuples n’aurait pas dû, pour autant, être ignoré. Aussi le « printemps arabe », en Tunisie d’abord, en Egypte ensuite, a-t-il pris de court la diplomatie française. Quelques jours avant la chute de Ben Ali, Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, proposait de mettre le savoir faire des forces de l’ordre françaises au service du régime tunisien.
Son remplacement par Alain Juppé a amené plus de clarté et de cohérence dans l’attitude française. Le nouveau ministre s’est engagé à respecter le résultat d’élections libres dans les pays arabes même si elles portaient au pouvoir des islamistes, à condition que ceux-ci respectent les droits fondamentaux. C’était un changement radical dans la position traditionnelle de la France.
Nicolas Sarkozy était président du Conseil européen – « président de l’Europe », comme il aimait à le dire quand, en août 2008, a éclaté la guerre entre la Russie et la Géorgie. Il a immédiatement estimé qu’il était de son devoir de se poser en médiateur. Il a fait la navette entre Moscou et Tbilissi, se targuant d’avoir arrêté les troupes russes avant qu’elles n’occupent la capitale géorgienne. Poutine avait-il l’intention d’aller jusque là ? Personne ne le sait. A l’actif du président français, la fin des combats. Au passif, le double jeu des Russes qui ont signé des accords qu’ils n’ont pas respectés. C’était prévisible, ils sont en position de force. Ce qui est plus regrettable c’est la propension de la diplomatie française à fermer les yeux sur ces manquements.

Le pari manqué sur Medvedev

Déception encore avec la Russie dans l’issue du jeu de chaises musicales entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine : Nicolas Sarkozy a donné l’impression de parier sur le jeune président alors que celui-ci n’était qu’un faire-valoir de son mentor. Il était même prêt à entrer dans une discussion sur le nouvel ordre de sécurité européenne, vieille lune de la diplomatie russe, et soviétique, que Medvedev avait cherché à remettre au goût du jour.
Avec la Chine, le parcours a été également chaotique. Derrière l’expression « partenariat stratégique global », les relations entre Paris et Pékin sont passées par des phases de tension et de coopération, sans autre fil directeur apparent qu’une volonté française de ne pas se laisser distancer par l’Allemagne. Si la réception houleuse de la flamme olympique à Paris ou une brève entrevue entre le président et le Dalaï Lama indisposaient la direction communiste chinoise, la France envoyait sur le champ un émissaire à Pékin pour faire amende honorable. Ce n’est pas le meilleur moyen de s’attirer le respect des Chinois.
En résumé, les inflexions, voire les innovations, apportées par Nicolas Sarkozy dans la politique extérieure française, auraient sans doute connu un sort meilleur si elles avaient été conduites avec plus de cohérence.