La diplomatie des Vingt-Sept affaiblie par la crise

En dépit de quelques succès, l’année 2011 a été difficile pour la politique étrangère européenne. L’European Council on Foreign Relations constate une perte d’influence du Vieux Continent accompagnée d’une « renationalisation rampante ».

La diplomatie européenne, qu’elle soit conduite par l’Union en tant que telle ou par quelques-uns de ses Etats membres, peut être jugée au regard de trois critères : son aptitude à rassembler les Européens, les ressources qu’elle met en oeuvre et, bien entendu, les résultats qu’elle obtient. De ce triple point de vue, ce que l’Europe a le mieux réussi en 2011, selon l’évaluation proposée, sous l’égide de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), par les chercheurs Justin Vaïsse et Hans Kundnani, concerne trois grands dossiers : la politique de lutte contre le changement climatique, adoptée à Durban ; la coopération avec les Etats-Unis sur l’Iran et la prolifération nucléaire ; la libéralisation du commerce avec la Russie, entrée dans l’OMC. Dans ces trois domaines, l’équipe du ECFR attribue aux Européens la note de 16 sur 20 (A- si l’on préfère un autre mode de classement).

Viennent ensuite, avec 15 sur 20 (B+), le développement de la démocratie dans les Balkans occidentaux, la défense des droits de l’homme à l’ONU, le soutien à la révolution libyenne. En revanche, les plus graves échecs des Européens portent sur les relations avec la Turquie et sur les droits de l’homme en Chine (5 sur 20, soit D+). Sur les autres questions, réparties par les auteurs en six catégories (relations avec la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la grande Europe, le Moyen-Orient et le Maghreb, les institutions multilatérales), les notes s’échelonnent de 6 à 14 sur 20 (de C- à B+). Elles sont le plus souvent en recul par rapport au classement établi pour l’année 2010. Les auteurs parlent à ce propos d’une « érosion de l’acquis diplomatique » d’une année sur l’autre.

La crise de l’euro

Comment l’expliquer ? Par la crise de l’euro. Selon le rapport, la crise a modifié les relations entre l’Europe et les grandes puissances. De « sujet » l’Europe est devenue « objet ». Au lieu d’exercer son influence sur le reste du monde, elle a dû appeler à l’aide. Alors qu’elle avait auparavant l’ambition d’être « la solution au problème », elle est devenue « le problème ». Son image s’en est trouvée dégradée. En 2010 , explique Justin Vaïsse, l’Europe était « distraite » par la crise ; en 2011, elle a été « diminuée par la crise ». Le « soft power » dont elle se réclamait en a été affaibli.

Cet affaiblissement est l’une des causes de ses hésitations et de ses retards face à la révolte du monde arabe. Il s’est traduit en particulier par des coupes budgétaires en matière de défense et d’aide au développement qui ont réduit ses moyens d’action. Mais il a eu surtout pour corollaire une « renationalisation rampante » de sa politique étrangère, c’est-à-dire une inversion des tendances qui poussaient les Etats membres, depuis quelques années, à tenter de mettre en place, dans la mesure du possible, des politiques communes.

Une Europe allemande ?

En même temps, les rapports de force entre les Européens ont eux-mêmes changé. Le pouvoir n’a pas seulement basculé, écrivent les auteurs, vers les capitales nationales, mais vers l’une d’entre elles en particulier : Berlin. On s’est même demandé si l’Europe qui émergerait de la crise ne serait pas une « Europe allemande ». En dépit de ce déséquilibre, le rapport note que l’Allemagne s’est plutôt comportée comme une puissance « géo-économique », plus soucieuse de défendre ses intérêts nationaux que d’affirmer un « leadership » sur l’Europe. De son côté, la France, quoiqu’affaiblie, a continué à mener une politique active, notamment en Libye et en Côte d’Ivoire. Quant à la Grande-Bretagne, troisième membre du trio européen, elle s’est laissé gagner par « la tentation eurosceptique ».

Le rôle des institutions européennes dans la conduite de la diplomatie a été affecté par cette « renationalisation ». Le comportement de Catherine Ashton, haute représentante de l’UE pour la politique étrangère, a fait le reste. Justin Vaïsse regrette son « manque de leadership » qui lui a valu d’être sévèrement critiquée par douze Etats membres – dont les six Etats fondateurs – dans une lettre commune. L’ancien ministre britannique des affaires étrangères David Miliband, un moment pressenti pour le poste, aurait-il fait mieux ? Il se serait heurté aux mêmes difficultés, estime Justin Vaïsse, mais peut-être n’aurait-il pas hésité, à la différence de Catherine Ashton, à « aller au clash » avec les Etats membres en remettant sa démission.

Le rapport de l’European Council on Foreign Relations, intitulé European Foreign Policy Scorecard 2012, peut être consulté sur le site www.ecfr.eu.