La dissuasion du fort au fou

En votant de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Chine et la Russie, ont manifesté leurs inquiétudes sur la situation dans la péninsule après le deuxième lancement en moins d’un mois d’un missile balistique intercontinental (ICBM) capable d’atteindre le territoire des Etats-Unis. Ces mesures, si elles sont effectivement appliquées par tous les pays, devraient amputer d’un milliard de dollars les revenus du régime de Pyongyang, soit le tiers de ses exportations.
Suffiront-elles à convaincre Kim Jong-un de renoncer à son programme de missiles porteurs de têtes nucléaires ? Personne n’y croit vraiment. Ni les Américains, qui semblent les premiers visés, ni leurs alliés en Asie, ni les Chinois et les Russes qui condamnent les risques de prolifération nucléaire mais veulent contrer les visées stratégiques des Etats-Unis dans le Pacifique.
Personne ne veut non plus d’une nouvelle guerre de Corée (1950-1953) qui fit des millions de morts et se termina par la partition de la péninsule entre la Corée du nord, un des derniers régimes communistes de la planète, et la Corée du sud, alliée des Etats-Unis. En même temps, les Américains ne peuvent pas assister sans réagir à la création d’une nouvelle puissance nucléaire en mesure de frapper leur territoire.
Il y a certes loin de la capacité au passage à l’acte. Malgré ses attitudes parfois erratiques, Kim Jong-un n’est pas suicidaire. Il sait bien qu’en représailles à toute attaque contre les Etats-Unis, son régime et son pays seraient rayés de la carte. Mais sans lancer une frappe directe contre Los Angeles ou Chicago, le dictateur nord-coréen est en train d’acquérir un pouvoir de pression sur Washington et ses alliés locaux par la simple existence de cette menace. C’est la définition même de la dissuasion.
De son côté, Donald Trump dispose aussi des moyens de la dissuasion. Encore faut-il les employer à bon escient. Il s’est gardé de définir des « lignes rouges » qu’il ne pourrait pas faire respecter sans prendre le risque d’enflammer la péninsule coréenne. Séoul, la capitale sud-coréenne de dix millions d’habitants, est à portée de l’artillerie classique de la Corée du nord. Le conseiller à la sécurité nationale du président américain, le général McMaster, a simplement déclaré que toutes les options étaient sur la table et qu’il fallait tout faire pour exercer une pression sur le régime tout en cherchant à éviter une « guerre très coûteuse ».
L’objectif est l’abandon par Pyongyang de son programme nucléaire. Il n’est pas réaliste de penser qu’il est rapidement atteignable. Ce programme est considéré comme leur assurance-vie par les dirigeants communistes nord-coréens. Ils ont appris des exemples de Saddam Hussein et de Kadhafi.
Le « gel » du programme ne peut être le but final des Américains, alors que Pyongyang dispose déjà de dix à vingt bombes nucléaires mais ceux-ci pourraient l’accepter comme étape intermédiaire. C’est la proposition chinoise, soutenue par la Russie. Elle est complétée par l’idée d’un « gel » dans la construction de la défense anti-missile américaine en Corée du sud et l’arrêt des manœuvres militaires communes américano-sud-coréennes. Ces bases de négociations ne sont pas encore acceptées par les différents protagonistes, ni le principe même d’une négociation, relancé par le nouveau président sud-coréen Moon Jae-in.
Toutefois comme le professait un des concepteurs de la doctrine nucléaire française, il faut « croire aux vertus rationalisantes de l’atome ». C’est sur le présupposé que les acteurs sont raisonnables qu’a fonctionné jusqu’à maintenant la dissuasion nucléaire, y compris aux moments les plus chauds comme la crise de Cuba en 1962. Avec Kim Jong-un, comme jadis avec Khrouchtchev, faut-il faire le pari de la raison ?