La dissuasion en question

Chaque semaine, l’équipe de Boulevard-Extérieur commente ici un événement de politique internationale. 

Un des enjeux internationaux de la crise provoquée par l’utilisation d’armes chimiques dans le conflit syrien est le sort de la dissuasion. Pas seulement la dissuasion nucléaire, mais la dissuasion nucléaire aussi. Sans qu’il soit possible de le prouver, sauf par un argument négatif, à savoir qu’il n’y a pas eu de guerre chaude entre les deux blocs militaro-idéologiques antagonistes au temps de la guerre froide, « l’équilibre de la terreur » a été le fondement du système international pendant près d’un demi-siècle et une forme de garantie pour la paix mondiale. On connaît la théorie : le possesseur de l’arme nucléaire n’a pas intérêt à l’utiliser contre un adversaire lui-même doté de l’arme suprême car les dommages qui lui seraient infligés en représailles dépasseraient largement les gains qu’il pourrait espérer d’une attaque. Au cours des décennies, la doctrine a été raffinée. Mais la base est restée la même.

La doctrine française qui a présidé à la force de frappe à partir de la fin des années 1950 participe des mêmes présupposés. On l’a appelée la « dissuasion du faible au fort », car avec un arsenal beaucoup moins développé que les deux grandes puissances nucléaires qu’étaient et que sont toujours les Etats-Unis et la Russie, la France était en mesure d’infliger à un adversaire potentiel des pertes telles que ce dernier devait y regarder à deux fois avant de se lancer dans une agression. Toutefois l’efficacité de la dissuasion repose sur la conviction que le responsable suprême n’hésiterait pas à appuyer sur le bouton rouge en cas de menace vitale.

C’est là que les récents développements de la crise syrienne soulèvent des questions. Il ne s’agit évidemment pas en l’occurrence de l’arme nucléaire. Mais en traçant une « ligne rouge » comme une sorte de dernier avertissement à Bachar al-Assad quant à l’utilisation d’armes chimiques, condamnées par la communauté internationale comme armes de destruction massive, Barack Obama – et François Hollande – ont tenté de dissuader le dictateur syrien de gazer ses opposants. Cette forme de dissuasion a échoué puisque le régime d’Assad a eu recours aux armes chimiques, à plusieurs reprises, et le plus récemment dans la banlieue de Damas. Après quoi, les Etats-Unis et la France ont promis que le régime syrien serait « puni » pour avoir enfreint la loi internationale. Il s’agit là encore de tenter de dissuader Assad d’employer à nouveau les gaz. Mais l’avertissement ne s’adressera pas à lui seulement et ne vaudra pas seulement pour les armes chimiques. L’objectif est de dissuader tous les Etats, ou groupes terroristes, qui seraient tentés d’avoir recours à des armes de destruction massive, chimiques, bactériologiques, nucléaires, en leur faisant savoir qu’un tel usage ne resterait pas sans réponse de la part de la communauté internationale ou de ceux qui se considèrent comme ses représentants en l’absence d’accord entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.

Le message s’adresse en premier lieu à l’Iran qui cherche à rejoindre le club des puissances militaires nucléaires, mais aussi à la Corée du nord, voire au Pakistan.

On comprend dans ces conditions que les hésitations de Barack Obama, ou ce qui peut apparaître comme des hésitations dans son appel au Congrès, soient de nature à affaiblir la nécessaire dissuasion. A contrario, on peut arguer que le message sera d’autant plus fort qu’il aura l’aval des représentants du peuple américain, si le Congrès suit le président. L’enjeu du vote qui aura lieu la semaine prochaine au Sénat américain et à la Chambre des représentants dépasse donc largement le cas de la Syrie. Il définira le système international du XXIème siècle.