La « dynamique » franco-allemande favorisée par la crise

Malgré le décrochage économique de la France par rapport à l’Allemagne, le partenariat entre les deux pays se porte bien, selon Henri Ménudier, professeur émérite à l’Université Paris 3-La Sorbonne nouvelle. Selon lui, en dépit de quelques divergences, la crise a favorisé leur rapprochement.

« Le moteur franco-allemand est cassé », affirmait il y a quelques mois dans Le Monde le chercheur Jacques-Pierre Gougeon, germaniste et conseiller de François Hollande. Il ajoutait : « L’un des enjeux de l’élection présidentielle est d’en restaurer le dynamisme et d’en promouvoir le renouvellement ». Invité de Fréquence protestante le 18 février, son collègue Henri Ménudier, professeur émérite à l’Université Paris 3-La Sorbonne nouvelle, conteste ce jugement. Le partenariat franco-allemand, dit-il, se porte bien, même s’il existe entre les deux pays « des dissensions, des divergences d’opinions, parfois des conflits ».

Henri Ménudier estime que la crise a conduit les deux partenaires à se rapprocher. Il constate avec satisfaction le retour à « une certaine dynamique de la coopération franco-allemande ». Une dynamique qu’il juge positive, à condition qu’elle ne s’exerce pas au détriment des autres Européens ni des institutions supranationales. Il ajoute que les deux pays sont accusés de faiblesse s’ils en font trop peu et d’abus d’autorité s’ils en font trop. On leur reproche alors, dit-il, de constituer « une sorte de directoire », voire d’imposer aux autres leur « diktat ».

Des « pompiers » plutôt que des « architectes »

Il est vrai que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ne se ressemblent pas, que leurs personnalités et leurs formations sont très différentes, que le début de leur relation a été difficile. Leurs prédécesseurs étaient unis soit par l’histoire, comme le général de Gaulle et Konrad Adenauer ou même comme François Mitterrand et Helmut Kohl, soit par l’économie, comme Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt. Ce que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont en commun, c’est d’abord leur âge, dont la conséquence est que ni l’un ni l’autre n’ont été marqués par la guerre. Ce qui les unit aussi, selon Henri Ménudier, c’est qu’ils n’ont aucune vision à long terme de l’Europe et qu’ils ne proposent rien qui lui permettre de faire « un bond en avant » au sortir de la crise. Ils agissent comme des « pompiers » ou des « réparateurs », non comme des « architectes ».

Le principal changement dans le partenariat franco-allemand est celui du rapport des forces entre les deux pays. L’Allemagne est désormais la puissance dominante. « L’écart de compétitivité ne cesse de croître », souligne Henri Ménudier, qui rappelle les chiffres du commerce extérieur, de la croissance, du chômage, tous en faveur de l’Allemagne contre la France. « Nous ne jouons plus du tout dans la même catégorie », dit-il. La France doit-elle donc suivre la voie de l’Allemagne ? « Ce serait une erreur de vouloir imiter le modèle allemand, répond-il, chaque pays a sa propre histoire, sa propre façon de se gérer ». Mais rien n’empêche d’observer ce qui fait le succès de l’Allemagne et d’analyser ce qu’il est possible de lui emprunter. 

Une Allemagne décomplexée

Depuis la réunification, « l’Allemagne est devenue une véritable puissance européenne », note Henri Ménudier. Gerhard Schröder a été l’un des premiers à la dire « décomplexée ». Ce pays qui était naguère « l’homme malade de l’Europe » a pris du poids à la fois sur le plan économique et dans l’exercice de ses responsabilités internationales. La France, de son côté, a plutôt reculé. Ce basculement ne risque-t-il pas de relancer l’antigermanisme en France ? Henri Ménudier ne le croit pas. Les quelques signes qu’il en perçoit, comme la déclaration d’Arnaud Montebourg comparant Angela Merkel au chancelier Bismarck, lui semblent des réactions « superficielles », « à fleur de peau ».

Selon lui, « l’antigermanisme est mort au début des années 80 ». Pourquoi ? D’abord parce que les dirigeants politiques en Europe ont donné « l’exemple public d’une coopération étroite ». Ensuite parce que de nombreuses entreprises françaises coopèrent avec l’Allemagne, premier partenaire commercial de la France. Enfin parce que la multiplicité des échanges entre les deux pays a créé « tout un tissu de relations humaines », qu’Henri Ménudier juge « solide et profond ». Le partenariat franco-allemand - expression qu’il préfère à celle de « couple » dont la « dimension émotionnelle » lui paraît nuisible à la compréhension de cette relation – a encore de beaux jours devant lui, selon Henri Ménudier, dans les trois domaines de la politique, de l’économie et de la société civile.