Après plusieurs mois de crise et face à la baisse de la consommation, Mercedes Erra, directrice de Euro RSCG (première agence publicitaire française) affirme sur une radio publique que les Français n’ont nullement renoncé à consommer à condition que les produits aient un sens et soient porteurs de valeurs. De son côté, le directeur du CREDOC s’exprime à son tour au nom du consommateur : « J’achète peut-être moins de produits, mais chacun renferme du sens, des valeurs, une utilité pour lesquels je suis prêt à payer à prix » (Challenges, n° 157, 26 février 2009).
La figure infantile du "consommateur"
A suivre les experts, les consommateurs auraient en tête un nouveau régime intelligent de consommation. L’idée qu’il existe un « consommateur type » est d’autant plus pratique qu’elle se prête docilement à la ventriloquie des experts qui raconte ce qu’il veut, ne veut pas, ne veut plus, ne veut pas encore, ne veut jamais, ne veut pas dire, etc. La langue des spécialistes parle systématiquement du consommateur à la place de l’individu ou du citoyen, comme si le désir de consommation était une évidence.
La baisse de la consommation tiendrait moins à une crise structurelle qu’à la nature "insensée" des produits commercialisés. En d’autres termes, il n’y aurait pas de crise de la valeur consommation mais une crise des objets à consommer. Le remède est indiqué dans le diagnostic : mettez la bonne dose de sens dans vos produits et la machine tournera à nouveau à plein régime. De surcroît, les gens seraient « prêts à payer le prix » pour des articles sensés.
L’expertise se veut rassurante. En effet, l’armature de la consommation est indemne avec une séparation entre des producteurs et des consommateurs et des médiations (marketing, publicité, communication) servant à l’absorption du flux de marchandises. L’accent est mis sur un infléchissement de la consommation.
D’ailleurs, même l’idée de plus en plus répandue de « déconsommation » marque une simple différence de degré dans l’ordre de la consommation, absolument pas de nature. Preuve que la figure idéologique du consommateur n’est pas propre à une lecture libérale, elle est aussi partagée par une gauche inerte qui, dans son approche misérabiliste de la pauvreté et de la crise, ne parle plus qu’au nom des consommateurs et pour le pouvoir d’achat.
Le scénario d’une transformation autrement radicale
Experts et politiques ne peuvent imaginer d’autres issues qu’une simple baisse raisonnable de la consommation et surtout pas l’hypothèse que l’édifice industriel de la consommation pourrait se dérober sous nos pieds. Or, ce qui fiche le camp, c’est bien le désir comme ressort de la confiance dans nos sociétés industrielles et dans l’avenir. Si pendant les 30 Glorieuses l’automobile aura été au pic du sens de la civilisation industrielle, elle est aujourd’hui confrontée à une désaffection symbolique majeure. Des individus peuvent continuer de vouloir des automobiles, ils ne les désirent plus.
Pour s’arracher à la désaffection généralisée, tout du moins la contenir, les produits doivent épouser des normes écologiques, sanitaires, environnementales et sociétales ; autant de motifs qui se sont d’ailleurs développés en marge des intérêts immédiats du marché, loin de la figure docile du consommateur, là où la multitude sociale projette et fantasme, revendique et partage d’autres modes d’existence et d’être au monde. C’est ce mouvement social erratique et agité que nos experts essaient de mettre sous contrôle en le ramenant à des variantes de consommation.
Or, au cœur de la crise, ce qui continue de se produire et de s’animer reste l’activité sociale, culturelle, notamment accessible par les nouvelles technologies, celle qui se fraye un chemin en dehors des canaux de la consommation. Ce sont des publics naissants, sans contours précis, mouvants, qui n’ont rien à voir avec les fadaises de mentors du management ou d’experts sur l’émancipation du consommateur. Il se pourrait que nos experts assistent béats à l’inhumation du consommateur auquel ils avaient fini par donner vie. Et il se pourrait aussi que nous assistions aux funérailles de ces prétendus experts.