La fracture transatlantique

Rien ne va plus entre les Etats-Unis et l’Europe. La solidarité transatlantique, sur laquelle reposent, depuis la deuxième guerre mondiale, les relations entre les deux continents, est en péril. Le sommet du G7, dont Donald Trump a refusé d’endosser les conclusions au terme de discussions houleuses, a confirmé ce que plusieurs gestes unilatéraux du président américain depuis son élection avaient déjà indiqué : les alliés traditionnels de Washington ne comptent pour rien dès lors que l’hôte de la Maison Blanche décide, au nom du slogan America First, de prendre les initiatives qui lui conviennent sans accorder la moindre considération aux accords internationaux qu’il a signés.

Ainsi Donald Trump a-t-il choisi de sortir son pays de l’accord de Paris sur le climat, aboutissement de longues et laborieuses tractations dont les Européens, à commencer par les Français, avaient été les principaux acteurs. Il a dénoncé ensuite l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, dans lequel l’Union européenne avait joué un rôle-clé. Le voici désormais qui remet en question les règles du commerce international en imposant à ses partenaires des surtaxes sur l’acier et l’aluminium européen et en se désolidarisant, à l’issue du G7 réuni au Canada de leur déclaration commune qui soulignait leur attachement à un système commercial « fondé sur des règles » et leur volonté de « combattre le protectionnisme ».

Le président américain a pris prétexte des commentaires du premier ministre canadien Justin Trudeau, qui avait jugé « presque insultants » les droits de douane américains dans la mesure où ceux-ci étaient justifiés, selon Washington, par le souci de la « sécurité nationale » - curieuse manière, en effet, de traiter ses alliés en les accusant de se comporter en ennemis. Mais le coup de colère de Donald Trump a surtout montré le peu de cas que fait désormais la Maison Blanche de ses amitiés historiques, au risque de créer une fracture entre les deux rives de l’Atlantique, qui pourrait, à terme, mettre en question le système « occidental » dont l’Amérique et l’Europe sont les deux grands piliers.

L’Union européenne est née, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de l’aide des Etats-Unis. Elle s’est développée jusqu’à la fin de la guerre froide à l’abri du parapluie américain. L’Alliance atlantique, dominée par les Etats-Unis, demeure encore, malgré les tentatives de construction d’une défense autonome, la principale garantie de la sécurité européenne. Pourtant les relations entre les deux continents se sont peu à peu détériorées. La guerre d’Irak, en 2003, sous le premier mandat de George W. Bush, a sans doute marqué un tournant. C’est l’époque où l’historien néoconservateur Robert Kagan, dans son livre La Puissance et la Faiblesse, théorisait la différence entre les deux visions du monde, les Etats-Unis étant du côté de Mars, les Européens du côté de Vénus.

Certains se sont inquiétés de ces divergences. Dans un livre publié en 2007, Pour une Union occidentale entre l’Europe et les Etats-Unis (2007), l’ancien premier ministre Edouard Balladur proposait ainsi de renforcer les liens entre les deux rives de l’Atlantique afin de permettre à l’Occident, aujourd’hui « divisé et concurrencé », de rester dans l’histoire. « L’Europe et les Etats-Unis se parlent beaucoup, le plus souvent pour constater leurs dissentiments et tenter en vain de les résoudre », affirmait-il notamment. Une organisation commune lui semblait nécessaire pour défendre les valeurs occidentales mises en péril par « le choc des civilisations ». « Tout l’édifice bâti en 1945 sur les ruines du conflit mondial s’effrite, tout est à repenser », écrivait-il encore.

A l’évidence, Donald Trump a choisi de tourner le dos à cette recherche d’une association plus étroite entre les Etats-Unis et l’Europe. Loin d’essayer de rebâtir l’édifice qu’Edouard Balladur jugeait branlant, il lui porte des coups qui le fragilisent encore davantage. Aux Européens de décider s’ils tentent, comme le suggérait l’ancien premier ministre français, de remettre patiemment sur pied, dans la perspective de l’après-Trump, une construction commune ou s’ils se préparent, avec leurs propres forces, à faire maison à part.