La gouvernance mondiale en crise

Une réforme de la gouvernance économique mondiale est-elle possible ? Cette question se pose quand on considère les difficultés que rencontrent aujourd’hui les Etats dans la recherche d’accords internationaux sur le commerce ou sur le changement climatique. Elle était au centre d’un débat organisé par l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) le 10 février à Paris et animé par Sylvie Matelly, directrice adjointe de ce think tank. « Il n’y a plus de gouvernance économique mondiale », a soutenu le chercheur Pierre Jaillet. L’OMC, estime-t-il, est « en état de mort cérébrale », le FMI souffre d’un grave problème de représentativité, la COP 25 sur le climat a été « un fiasco », l’accord sur les GAFA conclu par le G7 à Biarritz est déjà oublié, et quant au G 20, « qui se souvient de sa dernière réunion ? ». « Tout n’est pas de la faute de Trump », précise le chercheur, qui met l’accent sur l’extrême « lourdeur » de la gouvernance et la « très faible efficacité » de la surveillance multilatérale.
Ce sombre diagnostic est partagé par beaucoup d’observateurs. Gérard Depayre, ancien haut fonctionnaire européen, soulignait le 20 janvier sur le site de Boulevard Extérieur la « paralysie » de l’OMC, provoquée notamment par le blocage de l’organe de règlement des différends. L’ancienne commissaire européenne chargée du commerce extérieur, Cecilia Malmström, affirmait, en septembre 2019, à l’occasion d’un débat consacré aux 75 ans des accords de Bretton Woods, que l’organisation traversait « une crise profonde ». Elle ajoutait cette mise en garde : « Si nous n’avons plus de règles, chacun pourra dès lors faire ce qu’il veut ».
Autre instrument de la coopération internationale, le G7, dont la dernière réunion a eu lieu à Biarritz, en août 2019, sous présidence française. Parmi d’autres, le quotidien britannique The Guardian a dénoncé la « vanité » de cette rencontre. Le lieu même où elle s’est tenue lui paraît symbolique d’un temps révolu. « Biarritz, écrit-il, c’est le glamour du vieux monde », qui évoque « une grandeur d’une autre époque » et ne saurait faire oublier « l’impuissance » des dirigeants de ce « club » suranné. L’absence de communiqué final a permis de masquer les divergences. Il fallait éviter de répéter l’échec du G7 de 2018 quand Donald Trump avait retiré après coup sa signature. Le sommet de Biarritz s’est achevé « sans qu’aucun progrès significatif n’ait été réalisé sur les questions les plus urgentes », confirme le Washington Post.

Quant à la Conférence des nations unies sur le climat (COP 25), organisée à Madrid en décembre 2019, ce fut, selon Le Monde, dont le commentaire est assez représentatif de l’opinion générale, « une COP pour rien, ou presque ». Elle s’est achevée, écrit le quotidien, « sur des avancées quasi-insignifiantes » qui ont démontré « une incapacité à avancer, et à entrer dans le concret, en décalage avec l’appel constant des jeunes, des scientifiques, mais aussi des gouvernements eux-mêmes – dans leurs discours – à agir face à l’urgence climatique ». Conclusion de Jennifer Morgan, directrice exécutive de Greenpeace : « Les gouvernements doivent repenser complètement la manière dont ils s’y prennent, car le résultat de cette COP, marquée par un délit de fuite des puissantes économies du carbone, est totalement inacceptable ».

La crise du multilatéralisme

La crise du multilatéralisme est désormais patente. « Dans les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, le G7 (ou G8 selon les années) était un élément important de la « gouvernance internationale » qui s’était mise en place après la chute des régimes communistes d’Europe de l’Est », expliquait l’organisation Attac France en août 2019. Ce qu’on a appelé la « mondialisation néolibérale » s’appuyait sur des institutions internationales qui jouaient un rôle essentiel. C’est cette gestion coopérative du monde qui semble remise en cause. Les tensions entre les grandes puissances ont rendu problématique le fonctionnement du système avant même que l’élection de Donald Trump ne le réduise à l’impuissance.

Sa réforme apparaît à la fois indispensable et urgente. « Le monde ne saurait se muer en une arène où le plus fort impose ses conditions au plus faible, où l’égoïsme l’emporte sur la solidarité, et où les émotions nationalistes priment le bon sens », a déclaré l’ancien premier ministre polonais Donald Tusk, alors président du Conseil européen, avant le sommet du G20 à Osaka en juin 2019. Il importe donc de redonner vie aux mécanismes de régulation mis en place pour gérer les relations internationales.

Certains n’y croient pas. « Mission impossible », affirme Marc Uzan, directeur exécutif de l’organisation Reinventing Bretton Woods Committee, qui ajoute : « Nous quittons l’ère de la gouvernance mondiale ». Pour lui, le conflit entre les Etats-Unis et la Chine est la première cause de cet échec. Y contribuent aussi la remise en cause de la légitimité des pouvoirs et les défis de la technologie. Le rôle des institutions internationales, dit-il, va encore diminuer. Selon lui, « le cadre multilatéral n’est plus adéquat ».

D’autres experts sont moins pessimistes. Pour Carlo Monticelli, vice-gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, « la réforme est déjà en cours ». La crise de 2008 a agi, dit-il, comme un « catalyseur ». Elle a entraîné un nouvel équilibre des pouvoirs et un progrès considérable de la multipolarité. Bruno Gabrillac, directeur général adjoint des études et des relations internationales à la Banque de France, souligne la montée en puissance des pays émergents et l’accélération de la « mondialisation heureuse », en même temps que la plus grande flexibilité de la gouvernance mondiale. La crise, selon lui, a favorisé la prise de conscience de ces évolutions, même si les changements ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.

Quelle que soit la forme que prendra à l’avenir l’organisation des relations internationales, un nouveau cadre doit être inventé pour gérer, autant qu’il sera possible, les affaires communes de la planète.