La large victoire de Boris Johnson

Le Brexit aura bien lieu. Ceux qui gardaient encore l’espoir d’un second référendum qui annulerait celui de juin 2016 ont perdu la partie. Il est désormais certain, après la large victoire des conservateurs aux élections anticipées du 12 décembre, que le Royaume-Uni quittera l’Union européenne à la date fixée du 31 janvier 2020. Pour Boris Johnson, le premier ministre sortant devenu le champion du Brexit, c’est un vrai succès. Dès que la nouvelle Chambre des Communes aura approuvé l’accord conclu entre Londres et Bruxelles en octobre, la voie sera ouverte pour le divorce. Boris Johnson en avait fait le centre de sa campagne. Il a gagné, malgré les polémiques et parfois les rejets que suscite sa personnalité atypique.

Le premier ministre a confirmé, aussitôt après sa victoire, que le Brexit serait réalisé « à temps », c’est-à-dire à l’échéance prévue. Le vote des députés pourrait même avoir lieu avant Noël. La longue période d’incertitudes et de tergiversations, marquée par les refus successifs d’un Parlement sans majorité, va donc prendre fin. C’est une déception pour ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, redoutent les effets de cette séparation, qu’ils estiment préjudiciable à la fois au Royaume-Uni et à l’Union européenne. C’est aussi un soulagement pour nombre d’entre eux, qui appelaient à mettre un terme au chaos dans lequel s’enfonçaient les Britanniques et qui pesait lourdement sur l’agenda européen, mobilisé par d’autres priorités.

Contrairement aux attentes, Boris Johnson s’est révélé au cours de la campagne comme un leader efficace et convaincant. Il a su éviter les gaffes auxquelles il avait habitué ses compatriotes et les dérapages auxquels l’a parfois entraîné son naturel désinvolte. Avec un slogan simple – « get Brexit done » - qu’il a répété à satiété, il a offert aux électeurs lassés par les interminables controverses autour du Brexit une issue claire et compréhensible. Par contraste, son principal adversaire, Jeremy Corbyn, proposait une stratégie inintelligible. En refusant de préciser comment il voterait en cas de nouveau référendum sur le Brexit, il a laissé ses électeurs dans le désarroi. Sous sa houlette, les travaillistes subissent une défaite historique, qui va les obliger à se renouveler.

L’Union européenne devra donc apprendre à vivre sans le Royaume-Uni, près de cinquante ans après que celui-ci, en 1973, en est devenu membre. Près d’un demi-siècle pendant lequel les relations entre Londres et ses partenaires européens n’ont pas toujours été faciles, les Britanniques étant souvent accusés de freiner la construction européenne en gardant un pied dedans et un pied dehors. Le Royaume-Uni, en particulier, est resté obstinément à l’écart de la zone euro et de l’espace Schengen. Il a demandé et obtenu des dérogations dans de nombreux domaines au nom d’une idée de l’Europe différente de celle qu’avaient défendu jadis les pères fondateurs et que tentait encore de promouvoir, avec plus ou moins d’ardeur, le tandem franco-allemand.

La rupture avec le Royaume-Uni pourrait permettre aux partisans d’une relance de l’Europe de reprendre l’initiative sans s’exposer au veto de Londres et d’avancer vers cette « souveraineté européenne » voulue notamment par Emmanuel Macron. Une telle perspective, qui profiterait du départ du Royaume-Uni pour redonner ses chances à une Europe plus forte et plus unie, donnerait raison, rétrospectivement, au général de Gaulle qui avait, par deux fois, claqué la porte de la Communauté européenne au nez des Britanniques. La mise en place des nouvelles équipes placées à la tête de l’UE et résolues à renforcer l’intégration européenne, à l’image de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pourrait être l’occasion de tourner la page.

En attendant, les négociations vont s’ouvrir, une fois la séparation actée, sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les deux parties n’ont aucun intérêt à rompre toutes les attaches qui les unissent. L’ambition d’une « Global Britain » appelée à jouer un rôle majeur dans le monde paraît encore floue, sinon chimérique, même si elle reflète une nostalgie impériale dont le Brexit est l’une des expressions. En dépit de ses fanfaronnades, Boris Johnson est certainement conscient des faiblesses de son pays. Celui-ci ne peut pas retourner à son splendide isolement. Il importe en particulier de maintenir entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, au-delà des liens économiques, des liens puissants dans le domaine de la défense. Sans l’apport de Londres, l’Europe de la défense est un vain mot.