La libre circulation à l’épreuve des Roms

La politique française de reconduites à la frontière de Roms en situation irrégulière met à mal la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’UE prévue par les traités. La Commission demande un strict respect des règles qui restreignent cette liberté.

Les déclarations successives de Manuel Valls et de Cécile Duflot sur le démantèlement de campements abritant des immigrés roms, suivi de l’expulsion d’un grand nombre d’entre eux, ont relancé une fois de plus la controverse sur le sort de ces minorités venues pour la plupart de Roumanie et de Bulgarie. Mais la question ne concerne pas que la France. Elle intéresse l’ensemble de l’Union européenne. Ces deux pays en font en effet partie depuis 2007 et la législation applicable aux Roms est commune à tous les Etats membres. L’UE est d’autant plus attentive à la polémique suscitée par la situation de ces populations qu’elle met en cause le principe fondateur de l’Europe unie, à savoir le droit reconnu à tous les citoyens européens de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Vingt-Huit.

Les Roumains et les Bulgares, qu’ils appartiennent ou non à la minorité rom, bénéficient, comme les ressortissants de tous les Etats membres, de l’autorisation d’aller et venir sans contrainte d’un pays à l’autre et de s’établir, s’ils le veulent, dans celui de leur choix. La Commission européenne a pour mission de veiller au respect de ces dispositions. C’est ce qui explique l’intervention de Viviane Reding, commissaire à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, dans ce débat. La commissaire a critiqué vertement le gouvernement de Jean-Marc Ayrault comme elle avait réprimandé il y a trois ans sur le même sujet celui de François Fillon.

Discriminations

Ce que Bruxelles met en cause, en appelant la France à se conformer strictement aux lois européennes, ce sont moins les mesures prises à l’égard des Roms que les conditions dans lesquelles celles-ci sont prises et les formes de discrimination qu’elles pourraient révéler. Le démantèlement des campements illicites, sur décision de justice, pour des raisons tenant à la sécurité, à l’hygiène ou aux nuisances infligées aux voisins, est à l’évidence légal, mais le ciblage des seuls Roms ne l’est pas.

La mise en garde de la Commission européenne à l’égard de Nicolas Sarkozy il y a trois ans reposait sur le constat que la circulaire d’août 2010 visait « en priorité » les Roms et donnait l’impression, selon Mme Reding, que « des personnes sont renvoyées d’un Etat membre juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique ». La circulaire avait été annulée. « La France a le droit de fermer des camps illégaux, expliquait alors le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, mais cela doit être fait en conformité avec le droit européen ».

Cette fois-ci, Mme Reding rappelle que les Roms doivent être traités comme des individus et peuvent être évacués, sur décision d’un juge, « s’ils ont fait quelque chose qui va contre les lois de l’Etat ». L’affirmation de Manuel Valls selon laquelle les modes de vie des Roms rendraient impossible l’intégration de la majorité d’entre eux peut apparaître comme discriminatoire aux yeux des autorités de Bruxelles.

Une charge déraisonnable

Quant à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens européens, elle est bien prévue par les traités européens mais elle est encadrée par une circulaire du 29 avril 2004, qui rassemble l’ensemble des textes publiés antérieurement. Si les séjours de moins de trois mois ne requièrent pas d’autre formalité que la possession d’un document d’identité ou d’un passeport en cours de validité, les séjours de plus de trois sont soumis à des conditions économiques : la personne concernée doit exercer une activité ou disposer de ressources suffisantes pour ne pas constituer « une charge déraisonnable » pour le système d’assistance sociale de l’Etat d’accueil ; si elle ne répond pas à cette condition, elle peut être reconduite à la frontière. Par ailleurs, un citoyen de l’UE pourra être expulsé « pour des raisons d’ordre public, de sécurité ou de santé publique ». La directive invite les Etats à appliquer ces dispositions avec discernement et à observer toutes les garanties procédurales dont bénéficient les intéressés.

Privés de travail en France, les Roms sont particulièrement vulnérables. Les traités d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie prévoient en effet que leurs ressortissants n’auront libre accès au marché de l’emploi en France qu’à partir du 1er janvier 2014, au terme d’un délai de sept ans après la date d’entrée des deux pays dans l’Union européenne. En attendant, ils ont besoin d’un permis, demandé par leur employeur potentiel, moyennant le paiement d’une taxe, et limité à cent cinquante métiers. Les lourdeurs administratives restreignent la portée de cette disposition.

La question de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen, pour le moment refusée par les autres Etats membres, est d’une autre nature. Pour les Roms, le seul changement serait la possibilité d’entrer dans les pays de l’Union sans contrôle aux frontières. Cela ne modifierait en rien leur droit à la libre circulation et au libre séjour dans l’Union européenne. Le principal enjeu de Schengen concerne, en réalité, l’éventuel afflux d’étrangers non-communautaires qui pourraient être attirés par la fragilité des frontières extérieures des deux pays.