La mort de Margaret Thatcher

L’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher est morte le lundi 8 avril à Londres. Elle était âgée de 87 ans.

Célébrée par les uns, détestée par les autres même après sa disparition, Margaret Thatcher incarne la rupture de la Grande-Bretagne avec la politique économique keynésienne que le pays et toute l’Europe avec elle pratiquaient depuis la Deuxième guerre mondiale. Avec Ronald Reagan, arrivé au pouvoir une année après elle, « Maggie » a mis en œuvre la politique de l’offre préconisée par les « Chicago boys » marquée par la dérégulation, la mondialisation et la financiarisation de l’économie dont les conséquences continuent de se faire sentir.

Surnommée la « dame de fer » par un journaliste soviétique, Margaret Thatcher est restée célèbre pour son intransigeance, son inflexibilité et l’entêtement qu’elle a mis à poursuivre la politique qu’elle croyait juste. Elle n’avait pas peur pour sa popularité, elle qui a eu la plus grande longévité d’un chef de gouvernement britannique au XXème siècle, au risque de s’enferrer dans une impasse, comme avec la « poll tax », la fiscalité locale, qui lui coutât sa place en 1990.

Née Roberts, le 13 octobre 1925, dans la famille d’un épicier de Grantham, dans le centre de l’Angleterre, Margaret reçoit une éducation stricte. Son père est aussi prédicateur laïc de l’Eglise méthodiste. Il inculque à ses enfants une morale fondée sur l’effort, le travail et l’intégrité. La jeune fille fait des études de chimie mais elle se tourne vers le droit et devient avocate après son mariage avec Denis Thatcher, avec qui elle aura deux enfants Mark et Carol.

Leader de l’opposition en 1975

Elle entre tout naturellement au Parti conservateur mais elle sent qu’elle n’est pas du sérail. Elle n’appartient pas à cette gentry tory à laquelle elle reproche d’avoir pactisé avec l’Etat-providence et avec l’Europe. Elle déteste la mainmise syndicale sur les entreprises publiques, l’assistanat et l’égalitarisme qu’elle croit déceler dans le système éducatif et dans Service national de santé. Elue députée de Finchley en 1959, elle devient chef du Parti conservateur et leader de l’opposition en 1975. Les chefs de gouvernement tory ont amené la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne tandis que leurs homologues travaillistes ont placé le pays sous la tutelle du Fond monétaire international. Le sursaut est indispensable. Il viendra quatre ans plus tard quand Margaret Thatcher entrera au 10 Downing Street, le siège du Premier ministre britannique.

Elle est la première femme à diriger un gouvernement à Londres. Dès son accession au pouvoir, elle met en pratique ses convictions. Elle s’attaque à la toute-puissance des syndicats et affronte le leader des mineurs Arthur Scargill jusqu’à ce qu’il capitule après un an de grève. Elle lance un vaste programme de privatisations. Son intransigeance vaut aussi pour la politique vis-à-vis de l’Irlande du nord, en proie à une véritable guerre civile entre les protestants unionistes et les républicains irlandais de l’IRA. Pour elle comme pour les unionistes, il ne fait aucun doute que la province appartient au Royaume-Uni et que son destin doit être décidé sans ingérence de Dublin, capitale de la République d’Irlande.

Quand les membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) se lancent en 1981 dans une grève de la faim pour obtenir le statut de prisonniers politiques, Margaret Thatcher fait la sourde oreille. Bobby Sands sera le premier mort d’une série de dix. En 1984, l’IRA tente de se venger en faisant sauter l’hôtel de Brighton où le Premier ministre loge à l’occasion du congrès conservateur. Margaret Thatcher en réchappe de peu. La salle de bain dans laquelle elle se trouvait quelques minutes auparavant est dévastée par l’explosion. Peu après, à l’heure prévue, elle prononce le discours qu’elle avait préparé, son sac à main sur le bras et la mise en plis impeccable, comme si rien ne s’était passé. Elle annonce que la démocratie l’emportera.

L’expédition des Malouines

Elle avait fait preuve de la même fermeté, au printemps 1982 quand les généraux argentins décident d’envahir les Falklands qu’ils appellent les Malvinas (Malouines), revendiquées depuis 1810. Peu de monde à Londres croit que la Grande-Bretagne peut se lancer dans une expédition militaire aux antipodes pour maintenir moins de 3000 personnes sous la tutelle de Sa Gracieuse Majesté. D’autant plus que le gouvernement Thatcher a refusé, quelques semaines plus tôt, de donner la nationalité britannique pleine et entière aux Flaklanders. Ceux-ci doivent se contenter de la citoyenneté du Commonwealth.

Mais avec l’invasion argentine des îles, il y va de l’honneur de la couronne. Margaret Thatcher n’hésite pas. Avec Buenos-Aires, le compromis n’est pas possible. Le Premier ministre fait mine de laisser faire la diplomatie mais elle gagne du temps pour faire parler la poudre. Elle envoie une flotte de croiseurs et de porte-avions pour reconquérir les îles. L’expédition dure plus de deux mois. Des Exocets de fabrication française envoie par le fond le Sheffield, un destroyer britannique avec son équipage. Mais le 14 juin 1982, Margaret Thatcher apparait sur le seuil du mais la victoire des Falklands Downing Street pour annoncer la victoire dans la guerre des Falklands après la reddition du contingent argentin. Cette victoire vaudra au Parti conservateur un triomphe aux élections de juin 1983.

Les Argentins ne sont pas les seuls à faire les frais des convictions de la Dame de fer. Ses partenaires européens expérimentent aussi l’entêtement de Margaret Thatcher. Consciente du fait que la Grande-Bretagne a intérêt à rester dans la Communauté européenne à condition que celle-ci reste une simple zone de libre-échange, elle insiste sur une participation aux moindres frais. Elle refuse de payer pour la politique agricole commune et fait campagne avec le slogan « I want my money back » (je veux mon argent). Et elle bloque tout progrès de l’Europe aussi longtemps qu’elle n’obtient pas satisfaction. De guerre lasse, François Mitterrand cède au Conseil européen de Fontainebleau en 1984. Margaret Thatcher aura son chèque qui, depuis, est versé chaque année à la Grande-Bretagne. C’était le prix à payer pour surmonter le veto britannique à toute avancée de l’intégration européenne. Ce qui n’empêchera pas la « Dame de fer » de garder une rancune tenace à l’encontre de Jacques Delors, soupçonné de vouloir accroître les pouvoirs de cette Commission de Bruxelles, quintessence de la bureaucratie aux antipodes du parlementarisme anglais. François Mitterrand décèle chez elle « les yeux de Caligula et la bouche de Marylin Monroe ». Moins lyrique, Jacques Chirac, quelle agace profondément avec ses revendications incessante, interroge à la cantonade « qu’est-ce qu’elle me veut, l’épicière de Grantham ? »

Contre l’unité allemande

Quand tombe le mur de Berlin, en novembre 1989, Margaret Thatcher cherche en vain la complicité de François Mitterrand pour empêcher la réunification allemande. Elle soupçonne Helmut Kohl de vouloir instaurer un IVème Reich car elle pense que tous les Allemands sont des nazis qui s’ignorent. Au Conseil européen de Strasbourg, en décembre 1989, elle tente jusqu’au dernier moment de bloquer un communiqué de soutien au chancelier allemand. Helmut Kohl en a les larmes aux yeux. Quand il fait remarquer que tous les communiqués de l’OTAN depuis quarante ans soutiennent le droit de tous les Allemands à l’autodétermination, il s’attire cette réplique : « oui mais c’était à un moment où ce n’était pas réaliste, rétorque « Maggie ». maintenant que c’est possible, ça change tout ! ».

Si elle n’apprécie pas Helmut Kohl, Margaret Thatcher a d’autres amitiés. Proche de Ronald Reagan dont elle apprécie les manières simples et les convictions de bon sens, elle est la première à détecter en Mikhaïl Gorbatchev le dirigeant soviétique réformateur qu’il sera une fois arrivé au sommet. En 1984, membre du bureau politique du PC de l’URSS, Gorbatchev effectue une visite officielle à Londres. Malgré son anticommunisme viscéral, Margaret Thatcher est séduite par son langage direct : « We can do business with him », dit-elle. C’était trois mois avant que Gorbatchev ne devienne secrétaire général du PCUS et ne lance la perestroïka qui aboutira à la disparition de l’URSS. Plus douteux est son faible pour le général Augusto Pinochet, qu’elle soutient quand il est au pouvoir et qu’elle cherche à protéger des foudres de la justice après sa disgrâce.

Mais la politique britannique est cruelle. Les conservateurs bon teint n’ont jamais beaucoup aimé celle qu’ils considéraient comme une arriviste n’appartenant pas à leur monde. Ils l’ont soutenue aussi longtemps qu’elle garantissait leur succès électoral. Quand il est apparu que son impopularité menaçait tout le Parti, ils n’ont pas hésité à la laisser tomber. Dans les années 1980, Margaret Thatcher lance une réforme de la fiscalité locale dont la principale conséquence est de faire payer les pauvres autant que les riches. Les hiérarques du Parti tory s’inquiètent pour les futures élections générales. Ils la remercient sans ménagement et élisent à sa place John Major. Le nouveau Premier ministre fera du « thatchérisme sans Thatcher », si tant est qu’il soit possible de séparer les principes politiques de celle qui les aura incarnés mieux que personne.

Après son départ du pouvoir, « Maggie » continuera pendant quelques années à commenter la vie politique au nom des principes qu’elle a toujours défendus. Jusqu’à la mort de son mari qui l’affectera beaucoup et accélèrera la maladie d’Alzheimer qui l’a tenue éloignée du public au cours des dernières années.