La mort de Stéphane Hessel

Stéphane Hessel, qui est mort dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 février à l’âge de 95 ans, doit sa renommée mondiale à un petit pamphlet de 32 pages, intitulé « Indignez-vous ! », traduit dans des dizaines de langues et vendu à 4,5 millions d’exemplaires. 

 

Mais ce succès-là est d’une certaine manière injuste car il tend à reléguer dans l’ombre l’ensemble de la carrière de ce grand humaniste et grand diplomate. Une carrière paradoxale : élevé à la dignité d’ambassadeur de France par François Mitterrand qu’il avait soutenu en 1981 comme il soutiendra François Hollande en 2012, Stéphane Hessel n’a jamais occupé de « grands postes », comme on dit au Quai d’Orsay. Il a toujours été dans le multilatéral, en principe moins prestigieux.

C’est surtout en marge de cette carrière qu’il a joué un rôle important, en participant à de nombreuses commissions et en rédigeant de nombreux rapports, notamment sur le développement et les rapports Nord-Sud, dont beaucoup resteront lettre morte. C’est le sort de la plupart des rapports. Stéphane Hessel ne se décourageait pas pour autant. L’expérience lui avait montré qu’il ne faut jamais désespérer. A la fin de la Deuxième guerre mondiale, jeune diplomate à la délégation française à l’ONU, il avait participé aux côtés de René Cassin à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. « On a besoin d’une vision qui aille au-delà de ce qui est praticable immédiatement. C’est un travail de Sisyphe, comme tout travail historique », confiait-il au moment de la création, un demi-siècle plus tard, de la Cour pénale internationale qu’il vivait comme une consécration.

Né en 1917 à Berlin dans une famille d’intellectuels juifs peu pratiquante, convertie plus tard au protestantisme, Stéphane Hessel était arrivé en France en 1924 avec son père Franz et sa mère Helen. Les y attendait Pierre-Henri Roché dont sa mère était tombée amoureuse. « Une situation triangulaire somme toute assez banale », dira plus tard Stéphane Hessel, mais que le livre de Pierre-Henri Roché, Jules et Jim, et le film de François Truffaut transformeront en mythe. Seule différence, dans le roman et le film, l’enfant est une fille. La réflexion maintes fois entendue, « Ah, c’est vous la petite fille de Jules et Jim », finira par agacer Stéphane Hessel.

Dans les années 1920, la vie d’un petit Allemand destiné aux meilleures études n’a certes rien de comparable au destin des immigrés venus du Tiers-Monde. Stéphane Hessel toutefois s’en souviendra quand il se battra à leurs côtés pour obtenir la légalisation des sans-papiers, comme quand il épousera d’autres causes, y compris des causes perdues, que sa générosité, à l’opposé de la « paresse du cœur » que sa mère reprochait à son père, lui faisait embrasser.

A Paris, le jeune Stéphane se dirige tout naturellement vers l’Ecole normale supérieure. Il y sera reçu deux fois, deux années de suite : la première comme étranger mais il ne sera pas admis parce qu’il venait d’être naturalisé ; la seconde, comme Français. Pendant l’occupation, il avait rejoint sans hésiter la France libre et ses services de renseignements. Arrêté par hasard à Paris, il avait été interné dans les camps de Buchenwald et de Dora.

Elevé dans la langue allemande et la langue française, il n’avait pas son pareil, à 90 ans passés, pour réciter de mémoire des poèmes d’Apollinaire et de Hölderlin. C’était, disait-il, la meilleure manière d’œuvrer à la compréhension franco-allemande, pour laquelle il militait depuis toujours avec son ami Alfred Grosser, son cadet de huit ans.

Fatigué par des déplacements incessants aux quatre coins du monde, Stéphane Hessel n’en continua pas moins jusqu’au bout à promener sa haute silhouette, son regard candide et son sourire bienveillant à l’appel des déshérités et des déracinés.