La politique intérieure l’emporte pour Obama comme pour Poutine

A la suite de l’asile provisoire accordé par la Russie au « lanceur d’alerte » Edward Snowden, Barack Obama a annulé le sommet bilatéral qu’il devait tenir à Moscou avec Vladimir Poutine, à la veille de la réunion du G20, le 5 et le 6 septembre à Saint-Pétersbourg. Pour le président américain comme pour le président russe, les considérations de politique intérieure l’ont emporté sur leurs objectifs diplomatiques, alors que les relations russo-américaines sont au plus bas.

La rencontre Obama-Poutine, début septembre à Moscou, avait un ordre du jour chargé. Les points de friction entre les deux présidents sont nombreux depuis la réduction des armements nucléaires, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, la défense antimissile, la guerre en Syrie et le soutien russe à Bachar el-Assad qui ne se dément pas, l’attitude vis-à-vis du nouveau président iranien Hossein Rohani, sans parler des droits de l’homme mis à mal en Russie, par les lois contre les homosexuels notamment. Ni d’un côté ni de l’autre, on n’attendait de grands résultats de ce sommet prévu de longue date car les positions sont encore trop éloignées pour que des compromis soient possibles. Le dialogue entre les deux chefs d’Etat aurait eu au moins le mérite de redonner un peu d’élan à une relation de plus en plus difficile depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012. Barack Obama, comme d’ailleurs Nicolas Sarkozy ou Angela Merkel, avait réussi à avoir des rapports courtois avec Dmitri Medvedev, pendant le court intermède où ce dernier occupait la présidence russe en attendant le retour de son mentor (2008-2012).

Aucun grand accord n’avait été trouvé mais au moins le climat s’était-il détendu. Avec Vladimir Poutine, l’atmosphère rappelle celle de la guerre froide. Le président russe poursuit son objectif principal : redonner à la Russie le statut de grande puissance qu’elle a perdu depuis 1991 avec la disparition de l’URSS. Pour ce faire, il a besoin de se présenter en égal et en rival de ceux qui restent la grande puissance numéro un, les Etats-Unis. Il ne manque pas une occasion de contrer la politique américaine là où il le peut.

 

Edward Snowden : un cadeau empoisonné

 

En accordant l’asile politique, même temporaire, à l’ancien employé de la NSA, l’Agence américaine de sécurité nationale, le président russe a accepté le risque de provoquer un éclat avec Washington. Il a longtemps hésité. N’a-t-il pas déclaré quelques jours après l’arrivée de Snowden à l’aéroport moscovite de Cheremetièvo qu’il y avait entre la Russie et les Etats-Unis, des questions plus importantes que les droits de l’homme ? Mais puisque Snowden était là, il s’agissait alors d’en tirer le meilleur profit. Nul doute que le FSB, la police politique russe, héritier du KGB, s’y est employé depuis un mois et demi, dans le domaine qui l’intéresse, le renseignement.

Poutine avait posé come condition à un éventuel séjour en Russie du « lanceur d’alerte » qu’il cesse toute « révélation ». Il semble que cette condition ait été abandonnée si l’on en juge par la cour que les autorités russes lui font maintenant. Dans un premier temps au moins.

Vladimir Poutine a finalement décidé de garder Snowden, au moins un an. Les considérations de politique intérieure ont pesé aussi lourd dans sa décision que la volonté de faire une mauvaise manière aux Américains. Les premières réactions russes montrent qu’il a touché un point sensible. Même ses opposants, en tous cas les nationalistes, le félicitent. La Russe sait se faire respecter, tel est le leitmotiv des commentaires. Elle ne se laisse pas dicter sa conduite par autrui, en particulier par ces Etats-Unis qui ont cherché à l’humilier depuis la chute du communisme. Poutine y a mis bon ordre. Grâce à sa décision courageuse, le poids international de la Russie va se trouver renforcé.

 

Alexeï Navalny ou comment s’en débarrasser

 

Cette affaire arrive à point nommé pour redorer quelque peu le blason du régime russe terni par la condamnation de l’avocat blogueur Alexeï Navalny. Celui-ci a certes été remis en liberté provisoire, en attendant que la justice statue sur sa condamnation à cinq ans de camp pour corruption, mais le mal était fait auprès des défenseurs russes et étrangers des droits de l‘homme. A contrario, Vladimir Poutine prend sous sa protection un citoyen américain poursuivi par la justice de son pays pour avoir dénoncé des atteintes aux libertés !

Le président russe est embarrassé par le « cas Navalny ». Son premier instinct d’ancien officier du KGB était de le mettre hors d’état de nuire pendant quelques années. Mais le régime poutinien n’est pas caractérisé seulement par l’arbitraire et la répression. Il cherche depuis toujours à se donner une façade de légitimité sinon démocratique du moins électorale. Début septembre, des élections de gouverneurs ont lieu dans plusieurs régions. Elles avaient été abolies en 2004 afin de renforcer la mainmise du pouvoir central. Elles ont été rétablies après les manifestations de l’hiver 2011 contre les fraudes aux élections parlementaires pour tenter d’apaiser la contestation. Mais les candidats d’opposition ont été obligés de renoncer à se présenter aux scrutins régionaux.

A Moscou aussi, le maire était nommé par le président russe. Mais l’actuel détenteur du poste, Serguëi Sobyanine, un homme-lige de Poutine, a décidé de se présenter aux suffrages de ses concitoyens pour asseoir sa légitimité. Il a même fait en sorte qu’Alexeï Navalny puisse être candidat. Il ne prend pas de grands risques mais il améliore son image. Vladimir Poutine s’est laissé convaincre. Navalny n‘a aucune chance de l’emporter – comme disait Staline, dans les élections celui qui est important n’est pas celui qui vote mais celui qui compte les voix. Sa participation a donc deux avantages : elle montrera qu’il ne représente qu’une faible minorité de Moscovites et elle améliorera l’image du pouvoir.

C’est sans compter sur une forme de dynamique que la candidature de Navalny semble avoir enclenchée. Le candidat va à la rencontre des électeurs, aborde des thèmes concrets qui leur tiennent à cœur, représente un type de politicien moderne. Il ne gagnera sans doute pas mais il fait la démonstration qu’on peut conquérir des électeurs en faisant de la politique autrement. A terme c’est le plus grand danger pour le pouvoir de Poutine. Celui-ci l’a bien compris qui recourt aux vieilles recettes du nationalisme pour souder l’opinion autour de lui.

 

Un affront inexcusable

 

Pour Barack Obama, les données du problème sont différentes mais la conclusion comparable. Dans sa décision d’annuler le sommet bilatéral de début septembre, la politique intérieure a joué un rôle déterminant. Depuis plusieurs jours le président était sous la pression du Congrès et des observateurs. L’influent sénateur républicain John McCain, que Barack Obama a par ailleurs envoyé au Caire pour chercher une issue à la crise égyptienne, avait qualifié l’asile politique accordé à Snowden de « gifle à la face de tous les Américains ». L’administration avait travaillé depuis plus d’un mois pour que le « lanceur d’alerte » soit remis aux autorités américaines. Elle avait fait appel aux bonnes relations entre les services des deux pays au moment de l’attentat contre le marathon de Boston, pour débusquer les frères Tchernaiev. Même en l’absence d’accord d’extradition entre les Etats-Unis et la Russie, Washington espérait que la raison d’Etat l’emporterait. Le ministre de la justice Eric Holder avait écrit à son collègue russe que Snowden, s’il était poursuivi pour espionnage, ne serait pas passible de la peine capitale.

Ces efforts ayant été vains, Barack Obama ne pouvait guère agir autrement que d’annuler sa rencontre avec Vladimir Poutine. Il porte certes la responsabilité directe de cet échec mais les larmes de crocodiles versées à Moscou sur cette occasion manquée ne trompent personne : dans le climat de froideur actuel, ce sommet n’avait aucun sens. Si les deux présidents veulent se parler, le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg leur en donnera la possibilité. En toute discrétion, s’ils le souhaitent. Pour souligner leur mésentente s’ils le jugent nécessaire.