Revenu au Kremlin avec 64% des voix, Vladimir Poutine serait dans une bonne situation pour abandonner les accents nationalistes, voire anti-occidentaux, entonnés pendant la campagne électorale. La Russie est « un pays de gagneurs », avait-il dit. Il en a lui-même fait la démonstration, en ayant eu de toute évidence recours à quelques manipulations dont les régimes autoritaires ont le secret. Il n’a plus à craindre ni une improbable défaite, ni un deuxième tour qui aurait affaibli son autorité.
En profitera-t-il pour changer de ton, voire pour infléchir une politique étrangère qui depuis la crise libyenne a connu un net durcissement ? Il est permis d’en douter. Non sans naïveté, quelques chancelleries occidentales avaient, ces dernières années, misé sur Dmitri Medvedev. Certes, personne n’entretenait vraiment d’illusions sur l’autonomie du président par rapport à son mentor. Au moins, Dmitri Medvedev apparaissait-il plus souriant, plus aimable, plus sensible aux valeurs occidentales. Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, voire Barack Obama, n’étaient pas mécontents d’avoir à Moscou un interlocuteur plus fréquentable que l’ancien agent du KGB. En proposant une nouvelle architecture de sécurité en Europe, l’intérimaire du Kremlin avait bien repris une vieille antienne de la diplomatie soviétique mais on lui doit certainement l’abstention de la Russie (et par ricochet) de la Chine sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU qui, en mars 2011, a permis l’intervention internationale en Libye.
Vladimir Poutine n’avait pas caché son désaccord et la diplomatie russe jure aujourd’hui qu’on ne l’y reprendra plus. Elle le montre à propos de la Syrie, en bloquant toute résolution condamnant le régime de Bachar el-Assad. Dès l’annonce, en septembre dernier, que Dmitri Medvedev ne se représenterait pas, les diplomates occidentaux à l’ONU ont constaté une « poutinisation » de la politique extérieure russe.
Fermeté vis-à-vis des Occidentaux sur la Syrie et l’Iran, méfiance vis-à-vis des Etats-Unis que traduit l’annonce d’un énorme programme d’investissements dans l’industrie militaire — même s’il y a une part de gesticulation —, resserrement des liens avec les anciennes républiques soviétiques gouvernées par des pouvoirs autoritaires, la diplomatie russe vue par Vladimir Poutine tourne le dos à la coopération tentée avec la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev.
Les observateurs russes de la scène moscovite expliquent que l’ancien et nouveau président est marqué par la déception vis-à-vis de l’Occident. Les Américains ne respectent pas leurs partenaires et n’agissent qu’à leur guise. Leur objectif serait d’affaiblir durablement la Russie quand l’objectif de Poutine est d’en (re)faire une grande puissance. L’élargissement de l’OTAN vers l’Est, les projets de défense antimissiles, l’encouragement des « révolutions de couleur » dans l’espace postsoviétique et du « printemps arabe », fourrier de l’islamisme, tout concourt, selon Moscou, à isoler la Russie. Comme l’a dit un jour Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, nous sommes menacés d’être « encerclés par des démocraties ».
Quant aux Européens, Poutine ne leur fait pas plus confiance. Ensemble, ils sont inexistants. Pris séparément, ce sont au mieux des partenaires commerciaux avec lesquels on peut échanger des matières premières contre de la technologie.
Pour autant, il serait excessif d’attendre un « durcissement » de la politique étrangère russe avec le retour de Vladimir Poutine au Kremlin. D’abord parce que malgré quelques audaces de Dmitri Medvedev, c’est bien l’ancien résident du KGB à Dresde qui a donné le ton au cours des quatre dernières années. Ensuite parce que la diplomatie russe est déterminée par des tendances de long terme que les personnalités ne changent qu’à la marge. Enfin parce que, confronté à une opposition plus active, Poutine devra maintenir la cohésion nationale. Quel meilleur moyen que dénoncer l’ennemi de l’extérieur ?