La réforme de la Bundeswehr, tout reste à faire

Après la démission du ministre de la défense Karl-Theodor von und zu Guttenberg, l’étoile montante du gouvernement allemand, coupable d’avoir plagié une grande partie de sa thèse de doctorat, la réforme de la Bundeswehr reste à faire. Le ministre sortant avait annoncé la fin de la conscription, qui devait prendre effet dès ce mois de mars, mais aucune décision pratique n’avait été prise et la loi sur la réforme de l’armée allemande n’avait pas été présentée au Parlement. Son successeur, Thomas de Maizière, qui quitte le ministère de l’intérieur pour celui de la défense, a devant lui un immense chantier.

Il est parti. En bas de l’escalier dans un hall sombre du Bendlerblock à Berlin, le Baron Karl-Theodor von und zu Guttenberg, ministre de la défense allemand, a déclaré qu’il était arrivé aux limites de ses forces et qu’il avait demandé à la chancelière d’être démis de ses fonctions. L’attention portée par la presse à sa personne à cause du soupçon d’avoir plagié une grande partie de sa thèse de doctorat en droit ne le lui permettrait plus d’exercer ses fonctions. Son père, Enoch von und zu Guttenberg, un musicien reconnu, a même parlé d’une « chasse à l’homme » comme « il ne l’aurait pas pu l’imaginer après 1945 », devant 2000 supporters de son fils venus manifester au village « Guttenberg », le fief de la famille. Finalement, on dirait qu’il n’y a qu’une seule victime dans toute cette affaire, le plagiaire.

Or, en quelques semaines seulement, des recherches sur Internet ont dévoilé que des paragraphes entiers de la thèse de doctorat de « KTG », défendue à l’université de Bayreuth avec la meilleure note possible « summa cum laude », ont été copiés dans d’autres ouvrages sans avoir été signalés comme étant des citations. C’est la raison pour laquelle l’université de Bayreuth lui a, officiellement, enlevé le titre académique de docteur en droit. Et c’est la raison pour laquelle une instruction judicaire a été ouverte par le Tribunal de Hof (Franconie) pour multiples violations des droits d’auteurs et d’autres chefs d’accusation.

Ainsi, une affaire que Karl-Theodor zu Guttenberg avait, au début, qualifié de « reproches bizarres », s’est retournée très vite contre lui. Ses amis déplorent que l’Allemagne ait perdu « un talent politique hors du commun » et expriment le souhait qu’il retourne, bientôt, sur la scène politique. Ses adversaires lui reprochent d’avoir essayé de se maintenir au ministère et ils reprochent à la chancelière et à ses amis de la CSU de l’avoir trop longtemps soutenu. A la chancelière, surtout, on reproche une déclaration, selon laquelle elle n’avait pas engagé un « assistant académique » ou un « étudiant en doctorat », mais un ministre de la défense. Comme s’il n’y aurait rien de surprenant qu’un assistant universitaire triche avec son grade académique et qu’un tel tricheur puisse quand-même être un bon ministre.

Trois questions

La réaction du monde universitaire était pratiquement unanime. Une lettre ouverte a été adressée à la chancelière demandant qu’elle prenne au sérieux une violation des règles académiques de base. C’est seulement après que des représentants de son propre camp, le président du Bundestag, Norbert Lammert, et la ministre fédérale de l’éducation et des sciences, Annette Schavan, se furent prononcé en ce sens, que le ministre a présenté sa démission.

Maintenant, le monde politique allemand se trouve devant trois questions :

1) Qu’en est-il de la responsabilité républicaine des membres du gouvernement ? Une violation du droit est-elle compatible avec l’exercice d’une fonction gouvernementale ? Ou faut-il toujours essayer de continuer les finasseries tactiques ? Une règle morale veut-elle qu’il y a des choses qui ne se font pas ? Et toute violation de cette règle doit-elle être sanctionnée ? Ou le monde politique fonctionne-t-il, avant tout, selon la règle : il faut protéger ses propres partisans ? Tout reproche est-il une attaque inadmissible de l’adversaire ? Un ministre qui a triché est-il vraiment un « talent politique hors du commun » ou ne vaudrait-il pas mieux se garder de tels talents ?

2) Qu’en est-il, aussi, de la responsabilité des médias ? Certes, les médias ont fait leur travail en recherchant et en décrivant les faits concernant ce premier reproche qui était : quelque chose ne va pas avec cette thèse « summa cum ». Appeler ces efforts continus des médias une « chasse à l’homme », comme l’a fait le père du plagiaire, est une insulte aux hommes chassés. Mais tous les médias ont-ils toujours bien mesuré leur comportement ? Il y a, indéniablement, une tendance à la personnalisation des reportages, à la sensation, à la simplification. Quand il s’agit d’un contexte compliqué et/ou d’un être humain qui est en jeu, la responsabilité des médias pèse d’autant plus lourd.

3) Après la démission de Karl-Theodor zu Guttenberg, l’urgence de la réforme de la Bundeswehr reste intacte. Or, le nouveau ministre, Thomas de Maizière, vient de déclarer qu’il prendrait « le temps qu’il lui faut » pour arrêter des décisions en la matière. Il a raison, car la réforme de zu Guttenberg n’est, à ce jour, qu’un concept. Aucune décision n’a été prise. Même la suppression de la conscription, qui est au cœur de la réforme, n’a pas encore force de loi. La réorganisation du ministère et des structures de commandement n’est pas encore décidée. Pratiquement tout reste encore à faire.

Le défi pour le nouveau ministre est énorme.