La "smart diplomacy" à l’épreuve de l’Iran

La volonté d’Obama de rétablir avec l’Iran un dialogue diplomatique rompu depuis 1979, s’est affirmée en réaction au constat d’échec de la stratégie d’isolement et du régime de sanctions mis en place par l’administration G.W. Bush à l’encontre de l’Iran. La « politique de la main tendue » d’Obama marque aussi une orientation nette de la politique américaine vers une diplomatie visant le « changement de comportement » (behavior change) de l’Iran au détriment d’une stratégie de « changement de régime » coercitif (regime change) qui a prévalu en Irak et en Afghanistan. Alexandra de Hoop Scheffer, politologue spécialiste des Etats-Unis à Sciences Po/CERI, est notamment l’auteur de Hamlet en Irak (CNRS éditions, 2007).

L’administration américaine revient à l’essence même du concept de « puissance » tel qu’il était initialement défini par Joseph Nye et R. Koehane dans leur article « Power and Interdependence » du Foreign Affairs de 1998, à savoir la capacité à changer le comportement d’un Etat tiers, en recourant soit à la coercition (hard power), soit à l’influence et la cooptation (soft power).

Non-ingérence

Aujourd’hui, Obama innove en promouvant une approche « mixte » consistant à poursuivre le dialogue diplomatique tout se préparant à recourir à des sanctions contre l’Iran, afin de faciliter le consensus international autour de ces sanctions si les discussions échouent. Hillary Clinton a annoncé fin août 2009 que le choix entre sanctions et dialogue était un faux-débat et que les sanctions seraient désormais couplées par le dialogue, car elles sont inefficaces lorsqu’elles sont utilisées de manière isolée.

L’administration Obama revient au pragmatisme et au réalisme en politique étrangère. Il fait le choix de dissocier très nettement le comportement extérieur de l’Iran de ses affaires politiques intérieures, pour se concentrer sur le premier aspect. Face aux pressions des conservateurs, voire des néoconservateurs qui critiquent la politique étrangère d’Obama, jugée trop timide et naïve, et qui appellent au changement de régime, Barak Obama affiche une politique de non-ingérence absolue dans les affaires intérieures iraniennes au moment même où le régime se durcit.

Obama adopte une lecture réaliste des rapports interétatiques, en mettant l’accent sur le comportement extérieur de l’Iran et la menace nucléaire et non sur la nature du régime politique. Certains commentateurs américains regrettent la priorité accordée par la Maison-Blanche à « l’Iran nucléaire », au détriment de « l’Iran politique », celui vu par les mouvements d’opposition et de défense des droits de l’homme.

Marchandages

L’objectif-clé de Washington demeure donc la lutte contre la prolifération nucléaire, mais celle-ci s’inscrit dorénavant dans une volonté plus large de lier les enjeux au Moyen-Orient. Barack Obama s’est immédiatement démarqué de son prédécesseur par sa lecture « holistique » du Moyen-Orient, en proposant de « regarder la région comme un tout » au détriment d’une lecture compartimentée des dossiers.

Ainsi, Obama a recours au marchandage, ce jeu d’influence qui caractérise le Congrès où il est coutume de faire des concessions sur un projet de loi pour mieux obtenir des garanties sur un autre. Sur la scène internationale, l’administration Obama marchande avec la Russie pour tenter de régler le dossier nucléaire iranien et va jusqu’au bout de son raisonnement : il renonce au projet du bouclier anti-missile en Europe pour obtenir de Moscou qu’elle fasse pression sur Téhéran pour mettre fin à ses activités nucléaires ; avec la Syrie pour en faire une force stabilisatrice en Irak et dans la région du Moyen-Orient.

Ainsi, les négociations du 1er octobre 2009 autour du nucléaire iranien ont aussi été l’occasion de discussions bilatérales américano-syriennes au département d’Etat pour discuter de la levée des sanctions et côté américain, des infiltrations vers l’Irak et de l’espoir de voir la Syrie se distancier du Hezbollah et de l’Iran.

William Burns, Secrétaire d’Etat adjoint aux affaires politiques, a beaucoup insisté sur la nécessité de faire en sorte que les négociations bilatérales Etats-Unis/Iran soient intégrées dans un dialogue plus large, qui ne se limite pas au nucléaire, mais qui porte aussi sur l’Irak, l’Afghanistan, la sécurité régionale, la lutte contre Al Qaida, les relations commerciales, les visas, etc. L’administration Obama a déjà commencé à le faire en invitant par exemple l’Iran à participer à la conférence internationale sur l’Afghanistan de la Haye le 31 mars 2009. Dans les années 1950, le président américain Dwight D. Eisenhower avait affirmé que « si un problème ne peut être résolu, il faut l’élargir ». Un dialogue élargi avec l’Iran permettrait à l’administration Obama de ne pas endosser la responsabilité de l’impasse diplomatique et de légitimer le recours aux sanctions. 

Répartition des tâches

L’administration Obama doit convaincre l’Iran du coût de l’isolement et des bénéfices d’une intégration au sein de la communauté internationale. A cet égard, la révélation d’un deuxième site nucléaire à Qom a eu pour effet d’isoler l’Iran sur le plan diplomatique, lui laissant peu de choix à part celui de coopérer ou d’être la cible de nouvelles sanctions.

La posture adoptée par le président B. Obama sur le dossier iranien depuis le début de sa présidence est assez astucieuse : comme l’ont fait remarquer plusieurs analystes américains, il a tendance à « déléguer » le ton « faucon » du discours aux Européens et notamment au président Sarkozy. Si des commentateurs conservateurs, à l’image de Charles Krauthammer, regrettent la faiblesse du président américain et admirent la fermeté française (Obama’s French Lesson), d’autres critiquent la rhétorique musclée du président français.

Ce ton délibérément moins ferme d’Obama par rapport à ses partenaires français et britannique et le maintien de l’offre de dialogue, font partie intégrante de sa stratégie visant à rallier la Russie et plus difficilement, la Chine, à sa politique, pour présenter un front uni au Conseil de sécurité. Si l’attitude plus conciliante de la Russie s’explique par l’abandon du projet de bouclier anti-missile par Obama, Hillary Clinton n’a toutefois pas réussi, le 13 octobre à Moscou, à obtenir de la Russie un engagement ferme en faveur de nouvelles sanctions, et les déclarations chinoises demeurent encore très attentistes. Certes les deux pays sont susceptibles d’accepter un renforcement marginal des sanctions existantes, mais ils n’accepteront jamais des mesures qui puissent remettre en question leurs intérêts économiques et stratégiques en Iran.

La politique d’engagement est aussi critiquée par Israël qui a fait de la menace iranienne une priorité de son agenda, mais aussi par les grands Etats arabes alliés des Etats-Unis (Arabie saoudite, Egypte) inquiets de la montée en puissance de l’Iran et certains pays du Golfe (Emirats arabes unis, Qatar, Oman) qui redoutent les conséquences sécuritaires d’un Iran nucléaire. Ainsi, Michael Rubin du think tank néoconservateur American Enterprise Institute, a pronostiqué fin septembre 2009, qu’il y a avait 50% de chances pour qu’Israël recoure à des frappes militaires contre l’Iran en 2010 si les discussions échouent et que l’urgence de la situation ne permettrait pas aux Etats-Unis d’influencer le premier ministre israélien B. Netanyahou sur ce choix.

Fatalisme

En coulisse, l’administration Obama doute de l’efficacité de la diplomatie, des sanctions, des frappes militaires ou même du soutien à l’opposition au régime iranien.

Le recours à de nouvelles sanctions économiques ne fait pas l’unanimité à Washington, dans les cercles politiques et académiques : elles sont souvent présentées comme des « feel-good options », utilisées en cas d’impasse diplomatique et pour montrer que la communauté internationale (ré)agit. Plusieurs spécialistes du nucléaire iranien estiment que les sanctions ne permettront pas d’infléchir les ambitions nucléaires du régime iranien, à l’aune des sanctions et des frappes militaires ciblées en Irak dans les années 1990 qui n’ont pas abouti à un changement de régime sous Saddam Hussein.

Les conservateurs américains estiment que les sanctions sont une hypocrisie et qu’il n’existe véritablement que deux options : des frappes militaires ou l’acceptation de la coexistence avec un Iran passant le seuil nucléaire. Un certain fatalisme est perceptible aujourd’hui à Washington quant à l’idée d’accepter le deuxième scénario. L’option militaire n’est pas non plus écartée par l’administration, même si elle n’a pas sa faveur. Le Secrétaire à la défense Robert Gates a affirmé qu’une attaque militaire contre l’Iran ne ferait que faire « gagner du temps » aux Etats-Unis et retarder le programme nucléaire de Téhéran « d’un à trois ans ». Si ni la diplomatie ni les sanctions n’aboutissent à des résultats, l’administration américaine devra recourir à un « plan B », d’après Kenneth Pollack, de la Brookings Institution : le containment qui consisterait à limiter la capacité de l’Iran à produire des armes nucléaires ou à déstabiliser la région.

Priorité aux sanctions

Susan Rice, représentante permanente des Etats-Unis auprès des Nations Unies, maintient la primauté du choix des sanctions, envisagées sous trois formats possibles : le recours à de nouvelles sanctions collectives au travers du Conseil de sécurité ; des sanctions élaborées en dehors du Conseil de sécurité mais en collaboration avec les partenaires européens (notamment en cas de blocages chinois et russe) ; enfin, des sanctions unilatérales. Pour le moment, c’est la première option qui semble favorisée.

Le discours prononcé par B. Obama sur une « nouvelle ère d’engagement » à l’Assemblée générale des Nations Unies, la déclaration commune sur l’Iran du 25 septembre 2009, signée par les présidents français, américain et britannique à Pittsburgh, et le recours au format P5+1 (les membres du Conseil de Sécurité + l’Allemagne) pour gérer le dossier iranien, témoignent de la volonté de l’administration américaine d’adopter une approche multilatérale et de favoriser des sanctions collectives au détriment de sanctions « made in America ».

Or, une partie de la classe politique et les médias ne partagent pas la posture jugée attentiste du président Obama et l’appellent à imposer des sanctions immédiates au régime iranien.

Le décalage de rythmes entre un Congrès qui souhaite adopter des sanctions rapidement et une administration qui choisit la prudence et la voie diplomatique, s’est creusé après l’élection présidentielle iranienne du 12 juin et encore plus avec la révélation du deuxième site d’enrichissement. Les résultats des Transatlantic Trends de 2009, confirment que près de la majorité des Américains (47%) envisageraient le recours à la force militaire (alors que 48% des Européens s’y opposeraient). Les Américains auraient ainsi des difficultés à rompre avec la « méthode Bush » et le « President of Cool » qu’incarne Obama ne serait peut-être pas la réponse attendue par une partie des Américains, lorsqu’il s’agit de traiter de questions de sécurité.