La social-démocratie en crise

Les socialistes européens traversent une grave crise d’identité. Ils savent qu’il leur faut réviser leur « modèle social » pour tenir compte de la globalisation. Ils savent aussi que leurs électeurs ne veulent pas de ce changement.

La lourde défaite des sociaux-démocrates allemands le 22 septembre, jointe aux difficultés de la gauche dans les grands pays européens, invite à s’interroger sur l’état du socialisme en Europe au moment où s’esquisse un léger espoir de sortir enfin de la crise économique.

Les sociaux-démocrates sont au pouvoir dans une douzaine de pays de l’Union européenne, tantôt seuls ou avec leurs proches alliés, comme en France, au Danemark ou en Slovénie, tantôt à la tête de gouvernements de coalition, comme en Belgique, en Autriche (où les élections ont lieu le 29 septembre) ou en Italie. Ailleurs la droite est majoritaire mais, dans certains cas, comme en Finlande, aux Pays-Bas, en Grèce et peut-être bientôt en Allemagne, elle gouverne avec les socialistes.

Les résultats des élections montrent que la gauche européenne est encore capable d’obtenir la confiance d’une large partie de la population mais son projet est de moins en moins clair et sa raison d’être de plus en plus incertaine. Au-delà des péripéties politiques, qui varient d’un pays à l’autre, et de la personnalité de leurs dirigeants, qui suscitent plus ou moins d’adhésion, les socialistes européens traversent en effet une grave crise d’identité.

La gauche « désemparée »

Bon observateur des partis politiques européens, l’eurodéputé Vert Daniel Cohn-Bendit estime, avec d’autres, que la social-démocratie n’a pas su se renouveler et qu’elle est aujourd’hui « désemparée » face à la globalisation. Elle sait que les pays du Vieux continent doivent s’adapter au nouveau paradigme qui affecte l’organisation de leurs économies et qui leur impose en particulier de réviser le « modèle social » européen. Elle sait aussi qu’une grande partie de son électorat refuse ce changement et attend de la gauche qu’elle y résiste.

Pris entre ces deux exigences, les socialistes européens hésitent, tergiversent, esquivent. Leurs actes contredisant le plus souvent leurs discours, ils ne sortent de leur ambiguïté qu’à leur détriment. Accusés de se détourner de ceux qui souffrent en menant une politique de droite, les voilà coupés de leur base populaire, qui cherche ailleurs une réponse à ses colères.

Le souvenir de Gerhard Schröder

En Allemagne, les sociaux-démocrates ont fait campagne sur le thèse de la justice sociale mais ils n’ont pu faire oublier que les réformes dites libérales qui ont affaibli la protection sociale des travailleurs ont été introduites il y a dix ans par un des leurs, l’ex-chancelier Gerhard Schröder. Ces réformes lui ont fait perdre les élections de 2005. Elles ne sont pas étrangères à l’échec de son parti en 2013. Le paradoxe est qu’elles ont surtout profité à Mme Merkel. Mais elles ont contribué à briser le lien de confiance entre les sociaux-démocrates et leurs électeurs.

En France, l’effondrement de la cote de popularité de François Hollande s’explique par la désaffection de ceux qui ont voté pour lui il y a seize moins et qui s’estiment abandonnés, voire trahis. Alors que la droite lui reproche de rester fidèle aux vieilles idées du socialisme, une partie de l’électorat populaire pense au contraire qu’il oublie les petites gens en imposant, sans le dire, une politique d’austérité inspirée des canons du libéralisme. N’a-t-il pas salué récemment les « réformes courageuses » de Gerhard Schröder ? Certains croient qu’une meilleure pédagogie permettrait de convaincre les déçus du hollandisme. D’autres incriminent la faiblesse de son projet.

En Grande-Bretagne, le chef de file du Parti travailliste, Ed Miliband, vient de lancer l’offensive contre David Cameron au nom de la défense du pouvoir d’achat. Il promet notamment de geler les prix du gaz et de l’électricité pendant deux ans s’il succède en 2015 à l’actuel premier ministre conservateur. Les sondages sont favorables à son parti mais le souvenir de Tony Blair et de George Brown, qui ont « droitisé » le travaillisme britannique, ne lui facilite pas la tâche.

La question de l’Etat-providence

On pourrait multiplier les exemples en rappelant que le mandat de José Luis Zapatero à la tête du gouvernement espagnol a été désavoué par les électeurs socialistes pour sa politique de rigueur et ses concessions au libéralisme ou qu’en Italie Enrico Letta, qui président au nom du Parti démocratique la coalition au pouvoir, met ses pas dans ceux de Mario Monti. Nulle part la gauche européenne n’a encore été capable de bâtir une synthèse qui pourrait servir de base à une social-démocratie rénovée.

La question centrale est celle de l’Etat-providence, principal marqueur de la doctrine social-démocrate. Les socialistes européens doivent aujourd’hui en redéfinir les contours sans remettre en cause son existence ni donner raison à ceux qui s’inquiètent de son démantèlement. C’est ce nouvel « Etat social » qu’ils doivent tenter d’établir s’ils veulent demeurer fidèles à leurs valeurs et répondre aux attentes du « peuple de gauche ».