La solution de la crise européenne passe par une Allemagne consciente de sa puissance

La crise la plus grave depuis les Traités de Paris et de Rome, peut-elle devenir une « bonne crise », et permettre d’avancer vers une UE plus efficace et légitime ? Un commentaire de Mario Telo.

Un nouveau débat est ouvert en Europe à propos de l’avenir de l’Union Européenne : il a enfin son centre dans la condition de la relance de l’union politique, car la façon de laquelle on essaye de sauver l’euro est en train de tuer l’Europe, enlise l’UE pour des raisons opposées, cassant les racines de la légitimité auprès des citoyens, d’un côté dans le sud et de l’autre dans le nord. L’euroscepticisme monte dans le sud contre l’austérité « imposée par l’Allemagne » et son manque de solidarité ; mais le populisme émerge aussi dans le nord, en réaction à ceux qui sont considérés les excès de la solidarité et la générosité de la chancelière Angela Merkel.

Sur le plan des données statistiques les deux ont quelques raisons. Mais ce qui est plus important que les données, c’est les perceptions réciproques, les soupçons, les images, les discours. Ils risquent de produire des conséquences « malgré les faits ». L’intersubjectivité prime sur l’objectivité. C’est urgent de réagir contre cette dangereuse coupure entre le Nord et le Sud. On est en situation de « reluctant hegemon »(The Economist) car l’Allemgane de Mme Merkel ne veut et ne sait pas assumer les coûts d’une véritable hégémonie. Hégémonie n’est pas synonyme de domination. Certes Mao avait utilisé cette expression à propos de l’arroigance soviétique contre la Chine en 1963-65.mais Dans le langage scientifique d’être l’Etat hégémonique signifie soit influencer le domaine des idées, de la culture, des modes de vie (Gramsci et l’Ecole canadienne de R.Cox),soit assumer les couts de production de biens communs régionaux (selon Kindleberger et Keohane) : par exemple la croissance de la région Europe et une politique innovatrice de l’emploi, ou la transformation écologique de l’économie. Mais seulement P.Steinbruck, le candidat perdant du SPD, a proposé un « Plan Marshall pour les jeunes au chômage dans le Sud de l’Europe », que Merkel réfuse en raison de son interprétation des contraintes internes (électorat, le parti eurosceptique, ‘Alternative fuer Deutschland’, la cour suprème, Bundesverfassungsgericht etc). Donc il est difficile de s’attendre à un tournant post –électoral qui fasse de l’Allemagne une puissance hégémonique responsable et innovatrice. Et cela devrait aller de pair avec l’union politique.

Le débat peine à trouver un chemin constructif. François Hollande avait lié dans son discours du 16 mai sur l’union politique  européenne- à atteindre en deux ans - à deux questions : plan emploi jeunes et création d’un gouvernement économique européen. M Hollande a eu des échos au-delà des frontières de l’hexagone. Emma Bonino, ministre italien des affaires étrangères a réagi très positivement, selon la tradition italienne de Spinelli. Représentante d’un des gouvernements les plus européens dans l’histoire de la seconde république ( le gouvernement Letta avec Saccomanni à l’économie), paradoxalement suivi à l’élection la plus eurosceptique de l’histoire italienne ( Grillo et Berlusconi avaient fait deux campagnes, de droite et de gauche, contre l’euro et l’ « UE allemande »), a déclaré « qu’il faut prendre au sérieux la démarche M. Hollande » et, contre la politique des petits pas, relancé la proposition classique des fédéralistes, la tradition de Altiero Spinelli : Etats unis d’Europe , union fédérale et budget européen au 5% du PIB. Ce n’est pas le même projet que Hollande a en tête : un nouveau débat est donc possible, un débat que les allemands, les belges et les autres vont nourrir de leur propositions : le premier ministre belge Di Rupo par exemple propose de renforcer politiquement le noyau dur de l’Euro groupe et d’exclure le Royaume uni.

La relance fédéraliste italienne trouve dans le ‘groupe Spinelli’ au PE (Verhofstadt, Cohn Bendit, Goulard) le principal allié. L’engagement d’un Etat membre, troisième économie européenne, la renforce au Conseil européen. C’est fiable ? Comment est-il crédible de la part d’un gouvernement soutenu au parlement par Berlusconi aussi ? La recherche fournit deux explications. D’un côté, c’est le poids historique du consensus européen italien maturé tout au long de la première république, symbolisé par la rencontre entre Moro et Berlinguer et le referendum pro-européen de 1989.mais de l’autre c’est l’ « européanisme de la nécessité », le manque total d’alternative nationaliste (d’ailleurs, uniquement la Grande Bretagne se fait l’illusion de pouvoir partir cavalier seul dans la compétition de l’économie globalisée et Obama lui a rappelle la réalité des rapports de force). 

Quoi que ce soit, les rapports de force au Conseil européen ont changé ce qui ouvre une opportunité excellente pour l’initiative française entre l’Allemagne et l’Italie, à titre de médiation entre le Nord et le Sud. Des avancées vers l’intégration sont enfin possibles. Mais quelle formule et quelle légitimité ?

Il faut avancer sur deux plans : efficacité et légitimité, en réalité deux formes de légitimité, la légitimité basée sur les avantages des citoyens et la légitimité offerte par leur participation active. Pour l’efficacité, il faudrait cesser de considérer l’UE comme une version imparfaite, des Etats Unis. C’est une mentalité paresseuse de copier le modèle USA. L’UE n’est pas un Etat en formation mais un ensemble régional d’Etats voisins, de networks transnationaux. La recherche comparée nous dit ssans équivoque possible que deux autres associations régionales d’Etats voisins ont bien profité de leur crise très grave économique de 1997-99 pour un bond en avant vers l’intégration économique et politique, même si par la méthode intergouvernementale. Le Mercosur d’un côté, et l’ASEAN de l’autre, par exemple par la création, avec la ‘Chang mai initiative’ de 2000, d’un Fond régional de l’ « ASEAN plus 3 » (avec Chine, Japon et Corée). Leur double leçon est que les crises offrent des opportunités, et qu’il ne faut pas diaboliser l’intergouvernemental, mais le réformer.

Bien sûr, en Europe, c’est différent : les institutions supranationales conditionnent l’intergouvernemental. Il ne faut pas exclure que des progrès soient possibles par des nouvelles méthodes de gouvernance utilisant à la fois des avantages de l’intergouvernemental au Conseil et de l’apport de la Commission. Une troisième voie, donc, au-delà des guerres de religion : par exemple, la « méthode de l’Union ». Elle est déjà d’application pour le « Semestre européen », c’est-à-dire la nouvelle méthode de gouvernance selon laquelle (en application de la coordination macroéconomique, l’ancien article 99) les projets de budgets annuels des Etats doivent être soumis à la Commission et au Conseil pour une discussion préalable à leur présentation aux parlements nationaux. Pourquoi ? Pour corriger l’asymétrie de Maastricht entre Union monétaire et Union économique. Pas d’UEM sans une convergence accrue des politiques budgétaires nationales, une surveillance multilatérale des choix économiques pouvant affecter les autres états membres et le marché unique. C’est un pas vers le gouvernement économique que Hollande prône de ses vœux : un pas ultérieur serait d’instituer un haut représentant pour l’union économique, chargé de garantir ce processus dans la durée et de surveiller à son efficacité. Le concept de ‘coordination’ des politiques économiques nationales se différencie tant de la simple coopération intergouvernementale que de la méthode communautaire classique.

Mais tout cela serait impossible sans essayer d’impliquer la participation des électorats nationaux dans ce processus dynamique et innovateur. Il faut injecter dans le système européen à réformer une forte dialectique politique, en un mot ‘politiser’ les élections européennes de 2014. Avec le Traité de Lisbonne le PE aura le pouvoir d’élire le président de la Commission : voilà une excellente occasion pour que les partis européens, notamment le PPE et le Parti des socialistes et des démocrates présentent leurs candidats respectifs comme président de la commission (par exemple Martin Schulz contre M Barroso ?), au plus tard après leurs réunions respectives de janvier. Deux candidats, deux programmes de politique économique pour ce nouveau gouvernement de l’économie en formation. La campagne devrait susciter une mobilisation autour du clivage droite-gauche, mobiliser les électorats, renforcer le taux de participation, terriblement bas en 2009 (au-dessous de 50%). On ne se fait pas d’illusion que l’Europe puisse être dirigée par un gouvernement homogène - de gauche ou de droite - comme conséquence d’une élection parlementaire. En effet on ne peut pas sérieusement imaginer un mécanisme égal aux Etats, où la couleur du parlement corresponde à la couleur d’un gouvernement homogène. La Commission sera le résultat d’une coalition transnationale au-delà des clivages politiques. L’UE n’est pas un Etat. Mais la campagne de 2014 peut déterminer les choix économiques du nouveau président de la commission, injecter du sang dans un système sclérosé et renforcer la légitimité de la démarche vers l’union politique.