La zone euro veut s’émanciper de l’UE

Longtemps écartée, la perspective d’une Europe à plusieurs vitesses gagne du terrain. Elle pourrait prendre la forme d’une reconnaissance institutionnelle de la zone euro, qui serait dotée d’un budget, d’un exécutif et d’un Parlement spécifiques.

L’idée d’un renforcement institutionnel de la zone euro par rapport au reste de l’Union européenne, amorce d’une Europe à plusieurs vitesses, fait son chemin dans les esprits. Plusieurs dirigeants, anciens ou actuels, de l’UE s’en font l’écho. Ainsi Valéry Giscard d’Estaing propose-t-il, pour sortir l’Union de son immobilisme, ce qu’il appelle « un geste fort » : « que la zone euro devienne une communauté monétaire, budgétaire et fiscale, gérée sur le mode fédéral ».

L’ancien président de la République, qui dialoguait mercredi 14 novembre au Palais de la Mutualité avec Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, se prononce pour la création d’un Parlement de la zone euro, qui siégerait à Strasbourg, et non à Bruxelles, et qui réunirait des représentants du Parlement européen et des commissions des finances des Parlements nationaux. Il souhaite également, dans la même logique, la mise en place d’un Trésor européen et la nomination d’un secrétaire général de la zone euro, appelé à devenir le ministre européen des finances.

« Une capacité budgétaire appropriée »

La suggestion reçoit l’approbation de Jacques Delors qui, au nom de la « différenciation » qu’il a toujours prônée, appelle à une « coopération renforcée » entre les Etats de la zone euro afin que celle-ci bénéficie d’une « plus grande autonomie » dans l’Europe des Vingt-Sept et qu’elle soit dotée d’un budget propre. Un budget qui, selon Eulalia Rubio, chercheuse à l’association Notre Europe-Institut Jacques Delors, aurait une triple fonction : assurer un rôle de stabilisateur macro-économique en facilitant l’aide financière aux pays en difficulté conjoncturelle ; mettre en place des incitations financières pour favoriser des réformes structurelles ; fonctionner comme un mécanisme de soutien budgétaire à l’union bancaire.

Mme Rubio rappelle que le Conseil européen, en application du rapport Van Rompuy, a souligné la nécessité d’étudier la création d’une « capacité budgétaire appropriée » pour la zone euro. Elle en conclut que l’idée d’un budget de l’Union économique et monétaire gagne du terrain et qu’il est important d’en analyser les modalités, en s’intéressant notamment à son montant, à son mode de financement et aux formes de son contrôle démocratique. Le rapport Van Rompuy insiste, pour sa part, sur le double objectif d’aide à l’absorption des chocs conjoncturels et de soutien aux réformes de structure destinées à améliorer la compétitivité.

Pour « l’autodétermination de la zone euro »

Ce thème est aussi l’un de ceux qu’abordent deux experts de la construction européenne, Sylvie Goulard, députée européenne, et Mario Monti, chef du gouvernement italien, ancien commissaire européen, dans un livre qu’ils ont cosigné, De la démocratie en Europe (Flammarion), et qu’ils ont présenté lundi 12 novembre à Sciences-Po. S’ils estiment que l’unité de l’Europe à Vingt-Sept est « essentielle » pour préserver la prospérité de tous, ils pensent que « la zone euro n’en a pas moins le droit de chercher à se renforcer, à se démocratiser, sans que ceux qui ne désirent pas en faire partie puissent l’en empêcher ». Ils demandent qu’une sorte de « droit à l’autodétermination de la zone euro » soit reconnu.

Pour ces deux dirigeants, la zone euro a besoin d’un exécutif spécifique, qui serait chargé de missions telles que le contrôle budgétaire mutuel, la conception et la mise en œuvre des politiques de compétitivité, le rapprochement fiscal et social. En attendant, une phase intermédiaire pourrait consister, selon eux, à doter la zone euro d’un ministre des finances et d’un Trésor. Ils ajoutent que cet exécutif ne doit pas être « comme un petit canari sur sa balançoire, suspendu au-dessus du vide » mais qu’il lui faut disposer de services et de moyens, et rendre des comptes devant une assemblée parlementaire.

Quelle assemblée ? Les auteurs rappellent qu’un des membres du directoire de la BCE, Jörg Asmussen, a proposé la création d’une Commission parlementaire économique et monétaire de la zone euro au sein du Parlement européen et que la chancelière Angela Merkel n’a pas dit non. « L’idée de la création d’un Parlement de la zone euro à l’intérieur du Parlement européen mérite à nos yeux d’être creusée », écrivent-ils. La zone euro devrait aussi, disent-ils, se doter d’une représentation externe spécifique, notamment au FMI, à la Banque mondiale et dans les institutions spécialisées de l’ONU.

Nombreux sont ceux qui pensent aujourd’hui que la relance de l’Union européenne passe par une plus forte affirmation de la zone euro. Celle-ci n’a pas aujourd’hui d’autre existence institutionnelle que l’Eurogroupe, présidée par le premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Mais si le Parlement ni la Commission ne lui reconnaissent d’existence juridique. Les propositions convergentes de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Delors, Mario Monti ou Sylvie Goulard visent à combler cette lacune. Elles prennent acte du rôle joué par les Etats de la zone euro face à la crise mais aussi des distances prises par la Grande-Bretagne, qui paraît s’éloigner de l’Union européenne.