Alors que la pandémie du coronavirus s’accélère au Brésil et que l’OMS s’inquiète de l’évolution de la situation dans la région, le président brésilien, Jair Bolsonaro, impavide et sûr de lui, continue d’étonner le monde par ses déclarations à l’emporte-pièce, par ses dénégations répétées face à l’extension du Covid, par la grossièreté de son langage et ses violentes injures à l’adresse de ses opposants, par le délire obsessionnel dont il semble saisi à mesure que la crise s’aggrave, que l’économie s’effondre et qu’une partie de la population s’alarme de ses excentricités.
L’homme, il est vrai, depuis son apparition sur le devant de la scène, n’a pas cessé de s’illustrer par ses provocations. Avant même son élection en octobre 2018 et son entrée en fonction le 1er janvier 2019, il s’est fait connaître par ses discours enflammés contre les homosexuels, les femmes, les Noirs, les peuples indigènes, au nom de la défense passionnée des valeurs familiales, et par ses diatribes insensées contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Celui que ses adversaires surnomment Bozo, par référence au clown du même nom, incarne avec emphase, et jusqu’à la caricature, une droite ultraconservatrice, qui pourfend les élites, méprise les pauvres, rejette les étrangers.
Les bizarreries présidentielles
Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l’armée de terre devenu député de Rio, n’écoute personne et se débarrasse de ceux de ses conseillers qui osent le contredire, comme s’il était le seul détenteur de la vérité, inspiré par Dieu et insensible aux critiques d’où qu’elles viennent. Ses dernières foucades ne sont donc pas une surprise, tant elles sont fidèles à l’image qu’il a donnée de lui depuis son émergence dans le débat public il y a moins de deux ans. Mais la crise a rendu plus visibles et surtout plus choquantes les bizarreries présidentielles.
Face aux effets meurtriers du Covid, ce nostalgique de la dictature militaire ne se fie qu’à son propre jugement, refusant de se plier aux recommandations des scientifiques et allant jusqu’à congédier son ministre de la santé avant de pousser son successeur à la démission. Dans le même temps, un autre de ses ministres, et non des moindres, l’ancien juge Sergio Moro, s’est retiré du gouvernement. Ce héros de la lutte anti-corruption, qui a traîné l’ancien président Lula devant les tribunaux, a largement contribué à l’élection de Jair Bolsonaro en engageant des poursuites contre une partie de la classe politique et en empêchant Lula, alors emprisonné, de se porter candidat.
Aujourd’hui, le petit juge, auquel on prête des ambitions présidentielles, accuse Jair Bolsonaro d’atteinte à l’indépendance de la justice et d’interférence dans des enquêtes qui visent sa famille. Outré, le président a réagi en disant de son ancien ministre de la justice qu’il « se préoccupe d’abord de lui-même et de son ego plutôt que du Brésil ». Mais quelles que soient les arrière-pensées de Sergio Moro, ses accusations exposent Jair Bolsonaro à une procédure de destitution s’il est vrai que le petit juge dispose d’éléments solides qui incriminent le président. D’ores et déjà, une trentaine de demandes en destitution ont été déposées à la Chambre des députés.
L’exemple de Donald Trump
La crise politique s’ajoute donc à la crise sanitaire puis à la crise économique pour fragiliser le pouvoir de Jair Bolsonaro, en dépit du soutien que celui-ci continue de recevoir, selon les sondages, dans une large partie de l’opinion. Dans la tourmente, le président choisit la fuite en avant dans la démagogie et le déni. Son comportement de président rappelle celui de son grand voisin du Nord, Donald Trump. Même certitude sur la manière de répondre à la crise, même indifférence à l’égard des victimes, même agressivité à l’égard de ceux qui ne partagent pas son avis. De ce point de vue, Jair Bolsonaro n’est qu’un représentant, parmi d’autres, du vaste courant populiste qui traverse la planète et affaiblit les démocraties libérales.
Mais comme l’écrivait l’éditorialiste Rodrigo Tavares, dans un article de la Folha, le grand quotidien de Sao Paulo, repris par Courrier international, au lendemain de l’élection présidentielle, il existe aussi des facteurs spécifiques au Brésil qui expliquent « qu’un homme politique aux manières brutales, qui n´avait jusqu´ici qu´une envergure régionale, prônant des valeurs clivantes et à l’intelligence limitée, ait pu, en quelques années, se hisser sur la scène nationale sans le soutien des médias traditionnels ». D’autres Etats ont à leur tête des personnalités contestées, qui suscitent les passions et exacerbent les disputes. Toutefois, estime le journaliste brésilien, « seul le Brésil pouvait accoucher d’un Bolsonaro ».
L’oubli de l’histoire
Pourquoi ? Pour plusieurs raisons, qui se renforcent mutuellement. L’une est le conservatisme de la société brésilienne, dans laquelle une majorité de citoyens défend la peine de mort, proscrit l’IVG, nourrit la misogynie, accorde sa confiance, en priorité, à l’armée, la police et les Eglises. Autre raison : le rapport au passé, qui repose largement sur l’oubli de l’histoire. « Au Brésil, l’avenir se bâtit uniquement sur le présent, dans une relecture permanente et une incessante quête de la nouveauté », écrit l’éditorialiste. Le pays, souligne-t-il, n’a pas encore pansé les blessures de la dictature militaire. Enfin, le Brésil « souffre d’une pénurie de leaders charismatiques ». Discrédité par les affaires de corruption qui ont touché son parti, Lula n’a pas été remplacé.
Il reste un peu plus de deux ans à l’opposition pour s’organiser et faire émerger un candidat crédible à l’élection présidentielle de 2022, qui soit capable de battre Jair Bolsonaro mais surtout d’incarner d’une manière convaincante un autre volet de la culture brésilienne, tourné non plus vers un conservatisme intolérant mais vers les valeurs d’égalité et d’ouverture. Le Brésil pourra alors retrouver sa place dans le concert des nations.