Le Conseil constitutionnel face au droit communautaire

Après la nomination de Jacques Barrot, ancien commissaire européen, au Conseil constitutionnel, les onze juges qui siègent dans cette institution vont être conduits à approfondir leur réflexion sur le contrôle du droit européen

La désignation de l’ancien commissaire européen Jacques Barrot au Conseil constitutionnel remet en lumière la difficile question du contrôle de constitutionnalité des directives communautaires. Au cours de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Barrot a souligné que l’ordre juridique communautaire fait aujourd’hui partie de l’ordre juridique national mais que son contrôle n’en est qu’à ses « balbutiements ». « Nous sommes au milieu du gué, a-t-il dit, en indiquant qu’une des tâches du Conseil constitutionnel sera d’ « affiner le contrôle de l’ordre juridique communautaire ». 

 

La possibilité désormais ouverte à tous les citoyens de saisir le Conseil constitutionnel pourrait contribuer à accélérer cette réflexion. « Cela va changer la nature du Conseil constitutionnel, a déclaré le député socialiste Manuel Valls au cours de l’audition de M. Barrot. Les citoyens préféreront invoquer les traités plutôt que le droit national ». Un autre député socialiste, Jean-Jacques Urvoas, a interrogé l’ancien commissaire européen : « Quelle sera l’attitude du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question portant sur une loi conforme à la Constitution mais contraire à un traité ? », lui a-t-il demandé en rappelant la décision du Conseil sur l’interruption volontaire de grossesse, en 1975, par laquelle celui-ci s’était déclaré incompétent pour contrôler la conformité d’une loi à un traité. « Une loi contraire à un traité, écrivait-il, ne serait pas pour autant contraire à la Constitution ».

 

La transposition d’une directive

 

En l’état actuel de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel examine si un traité signé par la France est, ou non, conforme à la Constitution française (s’il ne l’est pas, et à moins que la France n’y renonce, la Constitution doit être révisée) mais il s’estime incompétent pour juger de la validité d’une loi lorsque celle-ci n’est que la transposition d’une directive européenne (décision de 2004 à propos de la loi sur l’économie numérique). Contrôler un texte issu d’une directive européenne reviendrait, selon lui, à juger de la validité de la directive elle-même, ce qui est du seul ressort de la Cour de justice de Luxembourg. Le Conseil se refuse donc à statuer sur l’application du droit communautaire.

 

A deux nuances près, qui ne sont pas négligeables. La première est que le Congrès se réserve le droit d’intervenir si la transposition heurte une disposition expresse de la Constitution ou si elle porte atteinte à « une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (décision de 2006 sur la loi relative au droit d’auteur). Deuxième nuance : le Conseil peut censurer une loi issue d’une directive s’il considère que la loi n’est pas conforme à la directive qu’elle transpose (décision de 2006 à propos de la loi sur l’énergie).

 

Une jurisprudence appelée à évoluer

 

Cette jurisprudence complexe, qui pose de délicats problèmes d’interprétation, est appelée à évoluer, assure M. Barrot, pour qui le Conseil devrait avoir, d’une façon ou d’une autre, « un droit de regard sur les traités ». L’ancien commissaire européen estime aussi, à propos de la Charte européenne des langues régionales, rejetée par la France, que l’ordre juridique français devra tenir compte de l’ordre communautaire.

 

« Quel peut être le rôle du Conseil dans la construction d’une bonne articulation entre droit européen et droit national ? », a demandé l’ancien ministre Dominique Perben au cours de l’audition de M. Barrot. C’est à cette question que les membres du Conseil tenteront de répondre dans les années à venir.