L’Algérie a été citée en exemple par les autorités françaises, avec quelque imprudence même par Laurent Fabius, pour avoir ouvert son espace aérien à l’aviation française en route pour le Mali. Ce que le ministre des affaires étrangères avait oublié de préciser, c’est que le survol du territoire algérien avait été autorisé pour les avions français qui transportaient des troupes et du matériel mais pas pour les Rafale qui bombardaient les islamistes. Les Rafale français ont fait un petit détour à l’ouest, en toute discrétion, par… le Maroc, qui s’est bien gardé de se mettre en avant.
Le Maroc est pourtant intéressé au premier chef par l’intervention française au Mali et par la lutte contre les groupes terroristes comme AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique). A l’occasion du récent sommet de la CEDEAO (Communauté économique d’Afrique de l’Ouest), le roi Mohammed VI a d’ailleurs envoyé un message de solidarité. Si les islamistes s’étaient répandus dans tout le Sahel, le Maroc risquait d’être aussi touché par des attentats – il y en a déjà eu à Marrakech et à Casablanca. Et surtout les autorités de Rabat craignent une contagion au Sahara occidental. Dans cette région contrôlée par la monarchie, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, revendique l’indépendance et les Marocains l’accusent d’être complice d’AQMI dans les rangs desquels se trouveraient des membres du Polisario.
C’est pourquoi le régime de Mohammed VI a tout intérêt à soutenir l’action de la France au Sahel sans toutefois prendre une part active à l’intervention pour ne pas se mettre en porte à faux avec ses propres mouvements islamistes. Depuis les dernières élections de 2011, boycottées par l’opposition, le Parti de la justice et du développement (islamiste modéré) a la majorité au Parlement et son secrétaire général, Abdel Benkirane, est le chef du gouvernement. La situation n’est cependant pas comparable à celle qui prévaut en Tunisie. Le Maroc n’a pas été totalement épargné par les printemps arabes de 2011 mais le roi a géré la protestation, sous l’égide du Mouvement dit du 20 février, avec suffisamment d’habileté pour désamorcer la contestation. Il s’est appuyé sur les réformes qu’il avait commencé à mettre en œuvre dès le début de son règne à dose homéopathique. En juillet 2011, des changements constitutionnels ont augmenté les pouvoirs du chef du gouvernement qui ne dépend plus de la seule bonne volonté royale mais doit refléter la majorité issue des urnes, même si dans les domaines régaliens, la marge de manœuvre du gouvernement et des députés reste très limitée. C’est ainsi que la position du Maroc dans la crise malienne est une affaire gérée directement par Mohammed VI, Abdel Benkirane reconnaissant à demi-mot qu’il n’a pas grand-chose à en dire.
Tous les Marocains ne sont pas convaincus de cette « exception marocaine ». Les démocrates laïques s’interrogent notamment sur les enseignements qu’il convient de tirer de l’expérience tunisienne. Celle-ci a montré que l’ancienne dichotomie, valable sous la dictature de Ben Ali, entre partisans de la démocratie et tenants de l’autoritarisme devait être au moins nuancée, voire remplacée par une autre opposition, entre conservateurs et modernistes, ou entre islamistes et progressistes. L’alliance des démocrates et des forces islamiques contre la dictature a volé en éclats après la chute de celle-ci. De nouvelles formes de vie politique doivent être inventées.
Au Maroc, les islamistes sont largement neutralisés par le statut du roi, commandeur des croyants, et c’est pourquoi il est difficile de connaître leur véritable programme. Mais pour certains démocrates marocains, la Tunisie apparait comme une sorte de « laboratoire » où l’on assiste à la prise de pouvoir progressive des islamistes sur la société, sous le couvert de la défense de la démocratie et du règne de la majorité. A l’inverse, les défenseurs du statu quo politique pourraient être tentés par un nouveau discours « éradicateur » qui enfoncerait un coin entre progressistes et conservateurs pour le plus grand profit des tenants de l’ordre établi.
Il est donc essentiel de militer pour une démocratie qui ne soit pas de pure forme, limitée à l’exercice du suffrage universel mais qui soit fondée sur des liens sociaux complexes, le respect du droit des minorités et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce n’est qu’alors qu’il sera alors possible de parler sans point d’interrogation d’une « exception marocaine » dans une région qui oscille entre l’autoritarisme et le fondamentalisme.