Le Quai d’Orsay se réorganise

Le Quai d’Orsay se modernise. D’ici quelques jours devrait être signé un décret refondant l’organisation interne du ministère. L’innovation majeure sera la création d’une nouvelle direction générale, la « direction générale de la mondialisation ». Plusieurs enjeux se cachent derrière cette réforme.

Le premier enjeu est politique. Le cloisonnement sectoriel et administratif qui prévalait peu ou prou jusque là (les questions énergétiques traitées ici, les politiques de développement là, les négociations financières ailleurs) ne répond plus au caractère de plus en plus complexe des négociations diplomatiques, à l’enchevêtrement des enjeux et à la multiplication des acteurs. Personne ne contestait d’ailleurs sérieusement la nécessité d’assurer plus de transversalité dans le fonctionnement du ministère, et la crise financière finit de convaincre les derniers sceptiques de la nécessité d’une structure de ce type : une réponse cohérente à la crise économique ne pourra pas être élaborée sans prendre en compte également la crise alimentaire, l’orientation des politiques de développement, les tensions énergétiques, et quelques enjeux géopolitiques. 

Le second enjeu est organisationnel. Il vise, même si ce n’est pas dit ainsi, à finir de normaliser la place de la direction générale de la coopération et du développement (DGCID) au sein du ministère. Cette direction était née de la fusion, en 1996, du Ministère des Affaires étrangères avec le Ministère de la Coopération - ou plutôt de l’absorption de celui-ci par celui-là. Mais plus de dix ans après, ce transfert n’a toujours pas été complètement digéré, et la DGCID constitue encore, à bien des égards, un « ministère dans le ministère », gardant une place à part et un fonctionnement administratif pas toujours calé sur le reste des services. La nouvelle direction générale de la mondialisation, qui absorbera la DGCID et la mêlera à des services politiques (l’actuelle direction économique et une partie de la direction des Nations Unies), devrait finir d’intégrer « les anciens de la coop’ », expression encore largement répandue dans les couloirs du ministère, aux autres services diplomatiques. 

Un « ministère de la mondialisation »

Le troisième enjeu touche à la place même du ministère au sein de l’appareil d’Etat. Depuis plusieurs années, les partisans de deux visions de l’outil diplomatique s’affrontent. Les premiers prônent un démantèlement des services du ministère des affaires étrangères au profit des ministères sectoriels, qui auraient alors la responsabilité de gérer leur domaine y compris à l’étranger : le Ministère de la Culture aurait ainsi la pleine responsabilité de promouvoir la culture française à travers le monde, celui des Finances de mener intégralement les discussions financières internationales, l’Intérieur d’organiser la coopération policière, etc. – le Ministère des Affaires étrangères ne garderait dans cette hypothèse que les questions purement diplomatiques et quelques négociations multilatérales. Face à eux, d’autres prônent au contraire un raffermissement de la structure et des moyens du Ministère des Affaires étrangères, pour faire du Quai d’Orsay le seul et unique pilote de l’action de l’Etat à l’étranger, capable de jouer des interconnexions entre tous les dossiers et d’avoir une vue plus globale des enjeux.

La révision générale des politiques publiques a rouvert ce débat. Pour des raisons essentiellement budgétaires, le transfert de certaines compétences vers les ministères sectoriels a sérieusement été envisagé. Mais les partisans d’un ministère fort ont fait entendre leurs arguments. L’ancien ministre Hubert Védrine concluait ainsi son rapport au président de la République sur la France dans la mondialisation en faisant remarquer que « la mondialisation a crée une interdépendance à la fois généralisée et non maîtrisée. […] Un grand pays comme la France est engagé à tout moment dans des négociations difficiles avec des dizaines de pays ou d’organisations dans tous les domaines. […] La France a besoin d’un grand ministère des affaires mondiales. Il existe : c’est le Ministère des Affaires étrangères. Les directions spécialisées des ministères sont utiles, mais il faut une vigie centrale, une tour de contrôle. […] S’il faut y faire une énième réforme, ce doit être pour le renforcer et réaffirmer son rôle interministériel ». Quelques semaines plus tard, Bernard Kouchner déclarait, lors de la conférence des ambassadeurs, vouloir faire du ministère des affaires étrangères « le ministère de la mondialisation », et demanda à Alain Juppé et Louis Schweitzer de réfléchir sur ce thème. Ceux-ci rendirent à l’été 2008 un Livre Blanc sur la politique étrangère de la France qui recommandait entre autres de « renforcer la dimension interministérielle de l’action du MAE » en expliquant que « sauf à ce que notre politique étrangère ne soit que l’addition des actions internationales de chaque ministère, le MAE doit exercer vis-à-vis d’eux une double fonction de synthèse et de coordination ». Et de préconiser pour cela la création d’une « direction des affaires globales ».

La direction de la mondialisation qui va naître est directement issue de ces débats. Elle se veut une direction essentiellement d’état-major, donc pouvant déléguer une partie de ces compétences, mais restant la tour de contrôle et le point de synthèse des actions de la France à l’étranger sur les domaines économiques, environnementaux, culturels et de développement. Reste que l’affermissement d’une vocation interministérielle n’est pas qu’une question d’organisation. C’est aussi une question de moyens et de volonté politique. Or l’un et l’autre sont sujets à discussion.

Une place encore à clarifier dans l’appareil d’Etat

Sur le premier point, le ministère des affaires étrangères a rarement su défendre efficacement ses moyens. Il représente une des plus petites nomenclatures budgétaires (1,5% du budget de l’Etat), peu de monde (1% des effectifs), pas de lobby parlementaire. Il a été dirigé par peu de ministres dotés d’une culture budgétaire, il est composé de personnels certainement pas enclins à la protestation. Résultat : en dix ans, ses effectifs ont diminué de plus de 10% – alors que, sur la même période, l’ensemble des effectifs de l’Etat n’a diminué que de 0,5%. De nombreux parlementaires rappellent régulièrement que le Ministère des Affaires étrangères atteint aujourd’hui un étiage en dessous duquel il pourrait être dangereux d’aller sans remettre en cause sa capacité à assurer ses missions.

Rien n’y fait. Son budget reste à peine plus élevé que celui dévolu au secrétariat d’Etat aux Anciens combattants. Il devra en outre, dans les trois ans à venir, réduire encore drastiquement ses emplois (trois départs à la retraite sur quatre ne seront pas remplacés), assumer tant bien que mal les promesses du président de la République sur la gratuité de l’enseignement français à l’étranger (qui pourrait à terme lui coûter près du quart de son budget !), voir ses crédits d’action culturelle chuter d’année en année (alors que l’enveloppe dévolue à l’ensemble des centres culturels à travers le monde est inférieure à l’enveloppe du seul Opéra de Paris). Jusque là le ministère bricole, mais les contraintes budgétaires pourraient un jour avoir des conséquences diplomatiques et politiques.

Le second point est peut-être plus crucial encore : pour devenir un pilote interministériel de l’action de l’Etat à l’étranger, il faut avoir la capacité de décider. Or rien n’est moins sûr que le ministère ait cette capacité : sous la Cinquième République, les décisions de politiques étrangères sont rarement prises au Quai d’Orsay, mais à l’Elysée. Les seuls cas où le ministère retrouve un peu d’autonomie sont soit les périodes de cohabitation (Juppé en 1993-1995 ; Védrine en 1997-2002), soit lorsqu’il existe une très grande proximité entre le ministre en titre et le président (de Gaulle et Couve de Murville, Chirac et Villepin). Dans les autres cas, tout ce qui engage l’avenir passe par la cellule diplomatique de la présidence de la République. On pourrait même, avec un peu de malice, remonter bien plus loin dans l’histoire de la diplomatie française pour faire remarquer que le Quai d’Orsay semble préférer des ministres faibles à des ministres forts, qui tiennent généralement peu de temps face au président, au roi ou au consul : Chateaubriand dû rapidement démissionner face à de Villèle, le dirigiste chef de cabinet de Louis XVIII, Tocqueville ne résista que quatre mois face à Louis-Napoléon Bonaparte. Il n’y eut guère que la Troisième République pour permettre à des Aristide Briand de marquer la diplomatie française par leur passage. La cinquième République a, pour sa part, permis à Douste-Blazy de rester ministre aussi longtemps que Poincaré…

Le Quai se modernise donc. Il le faut sûrement. Il lui restera encore toutefois à clarifier sa place au sein de l’appareil d’Etat et à s’assurer des moyens adéquats.