Le cas Köhler

L’Allemagne est à la recherche d’un nouveau président (ou d’une présidente), après la brusque démission de Horst Köhler, qui avait été élu pour un second mandat en mai 2009. Ancien « sherpa » du chancelier Helmut Kohl pour les réunions du G7 et ancien directeur du Fond monétaire international, Horst Köhler a tiré les conséquences des vives critiques que lui avait values un entretien donné à la radio publique Deutschlandfunk au retour d’une visite auprès des soldats allemands en Afghanistan. Le président de la République fédérale avait expliqué que les intérêts économiques allemands pouvaient dans certains cas justifier des interventions militaires à l’étranger.

C’est la première fois dans les six décennies d’histoire de l’Allemagne fédérale qu’un chef de l’Etat quitte ses fonctions pour des raisons politiques. La chancelière Angela Merkel a cherché jusqu’au dernier moment à dissuader Horst Köhler de donner sa démission, craignant une « crise de l’Etat ». En 2004, alors dans l’opposition, elle était allée chercher le directeur du FMI pour assumer une tâche essentiellement honorifique mais qui, dans des circonstances exceptionnelles, peut donner à son détenteur une influence politique déterminante. Economiste, Horst Köhler a toujours eu du mal à se glisser dans les habits d’un homme politique. La Loi fondamentale de la RFA n’a accordé que des pouvoirs très restreints au président de la République, par opposition au chef de l’Etat de la République de Weimar, élu au suffrage universel. Depuis 1949, il est élu par l’Assemblée fédérale, une institution qui comprend les députés au Bundestag et autant de délégués des Länder et qui ne se réunit qu’à cette occasion. L’art du président fédéral est de tirer le meilleur parti de ses limites institutionnelles, par le seul moyen dont il dispose, le discours. Mais ontrairement à nombre de ses prédécesseurs, Horst Köhler n’a jamais maîtrisé l’art du discours, comme le rappelle le magazine Der Spiegel.

En Afghanistan, le président avait rendu visite aux troupes allemandes qui font partie de la force internationale de stabilisation. C’était sa première visite, alors qu’une quarantaine de soldats allemands sont morts dans le nord du pays et que quelques « bavures » dont la Bundeswehr est rendue responsable ont renforcé l’hostilité de l’opinion allemande aux actions militaires extérieures. Pendant des années et jusqu’à récemment, les autorités allemandes se sont refusé à qualifier de « guerre » l’engagement de leurs quatre mille soldats en Afghanistan. Elles ont essayé de maintenir la fiction d’une armée essentiellement occupée à des missions de pacification, de construction de routes et d’écoles, malgré les accrochages de plus en plus fréquents et de plus en plus violents avec les talibans. Armée de « citoyens en uniforme », la Bundeswehr est mal préparée moralement à ce genre d’opérations.

« Protéger nos intérêts »

Sur place, Horst Köhler s’est étonné que les soldats allemands ne lui apparaissent pas convaincus de la victoire. Puis sur le chemin, du retour en Allemagne, il a accordé un entretien au Deutschlandfunk, en expliquant : « Un pays de notre taille, avec son activité orientée vers les exportations et donc une dépendance par rapport au commerce international doit savoir que dans le doute, en cas d’urgence, une intervention militaire peut être nécessaire pour protéger nos intérêts, par exemple la liberté des échanges commerciaux. »

Il n’avait fait là rien de plus que répéter ce qui est écrit dans le livre blanc de 2006 qui définit la doctrine de défense dans le cadre des alliances de l’Allemagne (OTAN, Union européenne). C’est en des termes à peu près identiques ce que le président Jacques Chirac avait déclaré dans son discours de l’Île Longue, en 2006 aussi, avec cependant une différence notable : il parlait de la dissuasion nucléaire.

Mais l’Allemagne n’est pas la France. Après la catastrophe du nazisme et de la deuxième guerre mondiale, son rapport à l’armée a changé. Le réarmement des années 1950 a donné lieu à une forte opposition. La Bundeswehr a été créée comme une armée « parlementaire », soumise aux décisions du Bundestag qui doit autoriser tout engagement extérieur. Pendant la guerre froide, sa seule fonction était la défense territoriale, de l’Allemagne et de ses alliés, face à la menace soviétique. En 1994, le tribunal constitutionnel a considéré que les interventions « hors zone » ne contrevenaient pas à la Loi fondamentale, à condition qu’elles aient une légitimation internationale, accordée de préférence par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Petit à petit, l’Allemagne a participé à des opérations de maintien de la paix, dans les Balkans, en Afrique (au Congo), en Somalie, dans la FINUL au large du Liban, puis en Afghanistan. Mais à chaque fois, les justifications apportées par les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont fait appel à la défense des droits de l’homme, à la garantie de la stabilité internationale, aux intérêts supérieurs de l’Alliance atlantique ou la « solidarité illimitée » avec les Etats-Unis, selon l’expression du chancelier Schröder au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Jamais aux intérêts « égoïstes » de l’Allemagne.

Horst Köhler a commis l’erreur de ne pas s’en tenir aux expressions politiquement correctes, d’être ensuite incapable de s’expliquer et de faire face à ses critiques sur un des sujets les plus sensibles du débat politique allemand.