Le ’’cas Sarrazin’’ ou le retour du refoulé

La discussion sur la place de l’islam et des musulmans dans la société allemande s’est développée après la publication du livre de Thilo Sarrazin, ancien sénateur ( social-démocrate) aux finances de la ville de Berlin et membre démissionnaire de la direction de la Bundesbank, intgitulé : « L’Allemagne se dissout ». Le président de la République, Christian Wulff, la chancelière Angela Merkel, le président de l’Union chrétienne sociale de Bavière, Horst Seehofer, ont été amenés à se prononcer sur le rôle des immigrés, le respect des différences culturelles mais aussi des valeurs démocratiques inscrites dans la Consitution allemande.

Thilo Sarrazin, membre démissionnaire de la direction de la Bundesbank, vient de publier un livre dans lequel il traite des problèmes de l’intégration des immigrés musulmans dans la société allemande. Cette publication a suscité des réactions vives – qui se traduisent, d’ailleurs, en une augmentation spectaculaire des ventes de son livre. Réactions vives, parce que des problèmes existent, mais on en parle peu ; réactions vives, parce que M. Sarrazin aime les propos provocateurs, qu’on accepte mal d’un représentant de la Bundesbank ; réactions vives enfin, parce que ses provocations dépassent, cette fois-ci, largement le domaine du sérieux, confinent à l’absurde, à l’inacceptable et ne sont, de ce fait, pas compatibles avec l’obligation de retenue politique d’un dirigeant de la Bundesbank.

La direction du SPD (Parti social-démocrate) a décidé que Thilo Sarrazin devait quitter le parti. Le SPD ne peut pas accepter, dit son président Sigmar Gabriel, qu’il soit associé aux thèses défendues par l’ancien sénateur aux finances de Berlin dans son livre « L’Allemagne se dissout ». Maintenant, il appartient aux instances juridiques du parti de se prononcer sur ce verdict. Ou de ne pas le confirmer, car « le » parti, au-delà de sa direction, est loin d’être unanime dans son jugement sur le comportement de Sarrazin. L’ancien bourgmestre de Hambourg, Klaus von Dohnanyi, est prêt à le défendre. D’autres anciens, Erhard Eppler, Egon Bahr, s’étaient prononcés contre l’approche « administrative » pour faire taire une opinion qui dérange. D’autres encore, comme Peer Steinbrück, ancien ministre des finances de la Grande coalition, ou Martin Schulz, président du groupe PSE au Parlement européen, ne veulent pas offrir à Thilo Sarrazin l’occasion de se présenter en « martyr ».

Mais, enfin, la thèse du « gène juif » et la proposition d’une « prime de naissance » pour les mères intelligentes que M. Sarrazin a énoncées en public ont été suffisamment proches du vocabulaire de l’idéologie nazie pour que la direction du SPD juge qu’il fallait exclure M. Sarrazin.

Il est vrai que les immigrés turcs ou arabes ont souvent plus de problèmes à s’intégrer dans la société allemande que d’autres groupes d’immigrés. Et pendant trop longtemps, la société allemande n’a pas vraiment cherché à comprendre pourquoi. En face des ces problèmes réels, qu’il a pu observer pendant qu’il exerçait ses fonctions au sein du gouvernement de Berlin, M. Sarrazin parle maintenant d’un manque d’intelligence parmi « les musulmans » qui, et ce serait le « danger » pour l’Allemagne, se reproduiraient plus rapidement que la population allemande autochtone et qui feraient, par conséquent, baisser le taux d’intelligence de toute la population en Allemagne. Car, l’intelligence, dit M. Sarrazin, est génétique à 50%, et comme il y aurait un « gène juif » ou un « gène basque », pourquoi n’y aurait-il pas un « gène musulman » ? Tant pis pour eux s’ils ne sont pas intelligents. Du racisme pur !

Et l’Allemagne se dissoudrait si elle ne faisait rien pour se protéger contre cette évolution néfaste. Sarrazin propose d’offrir des primes à des femmes intelligentes pour qu’elles donnent naissance à plus de bébés. Il propose de favoriser l’immigration des personnes qualifiées et intelligentes. En augmentant la pression auprès des immigrés pour qu’ils s’instruisent. Bref, ces « arguments » sont un amalgame d’idées spontanées, racistes et biologistes, et de soucis sérieux qui mériteraient un minimum de réflexion sérieuse.

Les réactions vives sont intéressantes à plusieurs égards. La « classe politique » de Berlin a pris ses distances relativement vite. Non seulement les représentants du SPD, comme M. Gabriel et le bourgmestre de Berlin, Klaus Wowereit, pour qui et avec qui M. Sarrazin a travaillé pendant de longues années, mais aussi la chancelière Angela Merkel ont déclaré leur opposition aux idées de M. Sarrazin. En même temps, un sondage relève que 43% seulement des sondés proches du SPD ne sont pas d’accord avec les thèses de cet « enfant terrible » de la social-démocratie berlinoise, alors que 36% le soutiennent. Parmi les proches de la démocratie chrétienne, les chiffres lui sont encore plus favorables : 45% lui donnent raison, et 43% seulement ne sont pas d’accord.

Mais les réactions les plus intéressantes viennent de la communauté immigrée. Des immigrés musulmans bien intégrés deviennent plus nombreux à défier l’auteur publiquement. Des journalistes allemands d’origine turque commencent à parler d’une intégration généralement réussie de la plupart des immigrés – « mais il faut du temps » ; mais aussi : « jamais, je ne me sentais plus turque que maintenant » (en réaction aux thèses de ce livre), écrit une journaliste de l’hebdomadaire libéral die Zeit. Ainsi, avec son livre, M. Sarrazin mettrait en danger l’acquis de l’intégration et, en même temps, un des éléments politiques clés de ses amis sociaux-démocrates.

Le débat sur les thèses de Sarrazin a peut-être fait apparaître un intérêt et une sensibilité accrus pour la situation des immigrés en Allemagne. Il a surtout fait apparaître une acceptation, ouverte ou tacite, par un grand nombre d’Allemands de thèses simplistes, voire ouvertement racistes concernant l’immigration.