Le déclin de la gauche radicale

La défaite d’Alexis Tsipras en Grèce, le 7 juillet, n’a surpris personne. Elle a traduit le rejet attendu d’une longue période de crise et d’austérité dont le premier ministre sortant a été tenu pour responsable. En janvier 2015, Syriza, le parti d’Alexis Tsipras, gagnait haut la main les élections législatives. Il devenait, avec 36,3 % des suffrages, la première force politique grecque, ne manquant que de deux sièges la majorité absolue au Parlement. Quatre ans et demi plus tard, l’espoir a changé de camp. Avec 31,5 % des voix, Syriza est devancé par Nouvelle Démocratie, le parti de la droite conservatrice. Ce n’est pas une déroute pour Alexis Tsipras, qui limite les dégâts, mais c’est la fin de l’expérience conduite par le chef de file de la gauche radicale dans des conditions rendues difficiles par les exigences des créanciers de la Grèce : naguère triomphante, la « gauche de la gauche » est désavouée par une partie de son électorat.

Il n’y a pas qu’en Grèce que la gauche radicale est mise en échec. En Espagne, Podemos, cette formation créée en mars 2014 à gauche du Parti socialiste (PSOE) autour du politologue et militant Pablo Iglesias, a d’abord connu des succès spectaculaires, obtenant 20,6 % des voix aux élections législatives de 2015 puis 21,1 % à celles de 2016, en coalition avec d’autres partis de la gauche radicale, dont le Parti communiste. Puis est venu le déclin. En 2019, la même coalition, Unidas Podemos, ne recueille que 14,3 % des suffrages aux élections législatives, soit un recul de près de 7 points, et 10 % aux élections européennes. C’est la désillusion, sur fond de querelles internes et d’incertitudes stratégiques. Au moment où le Parti socialiste se redresse sous la direction de Pedro Sanchez, le parti qui prétendait le dépasser sur sa gauche s’essouffle. Pablo Iglesias est contesté, son image altérée.

Les provocations de Jean-Luc Mélenchon

En France, une mésaventure semblable a touché La France insoumise et son leader, Jean-Luc Mélenchon. En 2017, l’ancien sénateur socialiste rassemble 7 millions d’électeurs à l’élection présidentielle contre 3 millions en 2012. Avec 19,5 % des suffrages, soit 8,5 points de plus qu’en 2012, il lui manque un peu plus de 600.000 voix pour atteindre le second tour. Il écrase ses concurrents de gauche, à commencer par Benoit Hamon, le candidat du PS, et peut à bon droit se présenter comme le chef de l’opposition de gauche à Emmanuel Macron. Il se voit déjà vainqueur en 2022. En attendant, il anime la scène par sa verve, ses provocations, ses outrances parfois, devenant l’un des acteurs-clés du débat politique. Deux ans plus tard, au lendemain des élections européennes, l’homme ne cache pas sa déception. Avec 6,3 % des suffrages, soit le même score qu’en 2014, il enregistre un sérieux échec. Comment expliquer ce recul ? Comme pour Alexis Tsipras en Grèce et Pablo Iglesias en Espagne, ceux qui l’ont quitté mettent en cause tout à la fois les contradictions de sa personnalité et les incertitudes de sa ligne politique.

On pourrait multiplier les exemples. Les élections européennes ont confirmé que, dans la plupart des pays du Vieux continent où des partis de la gauche radicale sont apparus il y a quelques années sur le devant de la scène, ceux-ci sont désormais en recul. En Allemagne, Die Linke, la formation créée en 2007 à la gauche du SPD, n’a obtenu que 5,5 % des voix, soit deux points de moins qu’en 2014. En Suède, la gauche radicale stagne (elle passe de 6,3 % à 6,7 %) et en Finlande elle régresse (de 9,3 % à 6,9 %), En Italie, l’extrême-gauche a pratiquement disparu du paysage politique. Seule exception : au Portugal, où deux formations d’extrême-gauche étaient en lice, l’une, le Bloc de gauche, a progressé par rapport à 2014 (de 4,5 % à 9,8 %), tandis que l’autre, la Coalition démocratique unitaire, alliance entre le PC et les Verts, a perdu du terrain (de 12,6 % à 6,9 %). Partout le score de ces formations qui prétendent incarner la gauche de la gauche sont faibles. Le groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE), qui rassemble ces partis au Parlement européen, est tombé en 2019 de 52 à 41 sièges.

Le temps des écologistes

Les causes de cet échec sont multiples. Elles varient probablement selon les pays. Plusieurs cas de figure se présentent. En Grèce, la gauche radicale a exercé le pouvoir jusqu’à sa défaite du 7 juillet dernier. En Espagne et au Portugal, elle a choisi de soutenir le gouvernement socialiste sans y participer. En France, elle est fermement ancrée dans l’opposition. Toutefois, malgré la différence des situations, ces partis partagent une inspiration commune, qui est, pour l’essentiel, le rejet du néolibéralisme, considéré comme la source de tous les maux économiques et sociaux, et le développement d’une écologie sociale. Pourquoi ce message n’est-il pas davantage entendu en Europe ? Le problème est que, sur le terrain que l’extrême-gauche s’efforce aujourd’hui d’occuper, les écologistes ont pris une longueur d’avance, comme le montrent leurs résultats aux élections européennes, notamment en Allemagne et en France. Le groupe des Verts au Parlement européen est passé de 52 à 74 élus. C’est de ce côté qu’est aujourd’hui le dynamisme des idées alors que le réchauffement climatique mobilise une grande partie de la jeunesse. Dans le nouveau paysage politique qui bouleverse les partis traditionnels, la gauche radicale a du mal à trouver sa place.