Comme tous les dirigeants chinois, Yang Jiechi tient un double discours, ce qui ne veut pas dire qu’il pratique le double langage. Mais son explication de la politique étrangère de son pays tient en deux propositions, autant complémentaires que contradictoires : la Chine reste un pays sous-développé.
La Chine est la première puissance exportatrice du monde et la deuxième puissance économique. La diplomatie doit concilier ces deux réalités et elle oscille constamment entre ces deux pôles, les responsables chinois jouant habilement sur l’un ou l’autre tableau selon les interlocuteurs et les nécessités du moment.
Yang Jiechi l’a répété : même si elle se développe rapidement, la Chine est encore au 100è rang mondial pour le revenu par habitant. 150 millions de personnes y vivent au-dessous du seuil de pauvreté. L’autre côté de la médaille est une croissance forte, 8,7% en 2009, malgré la crise. D’ailleurs l’économie chinoise a été parmi les premières, sinon la première, à sortir de la crise, grâce au programme de relance massif décidé par les autorités. Le fait remarquable est moins le volume – quelque 600 milliards de dollars contre près de 800 milliards pour les Etats-Unis – mais la rapidité avec laquelle les projets ont été mis en œuvre : les deux tiers de la somme ont été investis au cours des premiers mois, alors qu’aux Etats-Unis, le montant de l’argent employé atteignait à peine le tiers de l’enveloppe globale.
Les Chinois se targuent en outre d’avoir non seulement sorti leur pays de la crise mais d’avoir largement contribué à la reprise mondiale, pour environ la moitié. Conclusion de Yang Jiechi : « La Chine ne peut se développer isolée du reste du monde et le monde ne peut pas se passer de la Chine. »
Lors de son passage en Europe, le ministre chinois des affaires étrangères a porté une attention spéciale aux relations avec l’Union européenne, dont il souhaite qu’elle fasse encore « des progrès dans l’intégration ». Ce qui n’empêche pas la diplomatie chinoise de privilégier ses rapports bilatéraux avec les Etats-membres quand la pratique du diviser pour régner lui semble plus profitable. Mais il est probable que l’Europe sera l’objet dans les prochains mois d’une sollicitude chinoise d’autant plus grande que les relations avec les Américains sont détériorées à la suite des ventes d’armes à Taïwan et de la réception du dalaï-lama par Barack Obama. Toutefois, la Chine critique les mesures « protectionnistes » prises par l’UE à l’encontre de certaines de ses exportations, notamment les chaussures.
Bien qu’elle ne s’y soit pas engagée avec beaucoup d’enthousiasme, la Chine soutient le G20 comme plateforme d’une gouvernance économique mondiale. Mais elle ne veut pas aller au-delà. Reprenant sa casquette de meilleur défenseur des pays en voie de développement, le chef de la diplomatie chinoise a expliqué que les mécanismes de l’ONU sont suffisants pour régler les problèmes du monde. Et de son point de vue, on le comprend. La Chine a le double avantage d’être membre permanent du Conseil de sécurité, avec un droit de veto, et de pouvoir se référer à son statut de pays émergent pour tenter de gagner le soutien d’une majorité des 192 Etats de l’ONU. D’un côté elle joue dans la cour des grands – et elle ne se prive pas d’en profiter que ce soit dans la négociation avec l’Iran ou la Corée du Nord —, de l’autre elle peut, quand ça l’arrange, faire front commun avec les plus pauvres.
C’est aussi pourquoi Yang Jiechi récuse officiellement le terme de G2 pour caractériser les relations entre les Etats-Unis et son pays. Ce n’est pas un concept chinois, a-t-il dit. La Chine veut consulter tout le monde, privilégier la « communauté internationale », promouvoir le multilatéralisme. Un face à face avec les Etats-Unis place la Chine dans un rapport de force où elle n’est pas nécessairement perdante mais qui l’expose à des pressions, par exemple sur le niveau de sa monnaie, même si ce face à face rehausse son statut. Le double discours chinois est le reflet de cette double réalité.