Le double paradoxe de la guerre en Libye

L’entrée en action de l’OTAN dans la guerre en Libye qui a suscité les réticences de la France, illustre un double paradoxe. D’une part, les Européens, au moins certains d’entre eux, qui étaient beaucoup plus déterminés que les Américains, ne sont pas en mesure de mener seuls une telle opération, sans le soutien de l’organisation atlantique. D’autre part, la France qui est revenue en 2009 dans la structure militaire intégrée de l’OTAN pour peser sur les décisions de l’Alliance manifeste la même méfiance qu’auparavant vis-à-vis d’une institution jugée ou trop américaine ou trop « occidentale ».

L’OTAN assume depuis la semaine dernière le commandement et la coordination de l’opération « Aube de l’Odyssée », autorisée en Libye par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies. La décision a été prise par le Conseil atlantique après des jours de délibérations et de négociations. Il s’agissait de surmonter les réticences de deux membres, la Turquie et la France. La première avait des réserves sur l’opération elle-même mais n’était pas opposée à l’intervention de l’OTAN en tant que telle, d’autant moins que les décisions de l’Alliance se prenant par consensus, Ankara y dispose d’un quasi droit de veto. La seconde craignait officiellement que l’entrée en action de l’organisation militaire occidentale n’aliène le soutien des pays arabes. L’argument n’est pas sans valeur mais il n’est pas interdit de voir derrière ces réticences la méfiance traditionnelle de Paris pour cette institution. Si tel est bien le cas, le paradoxe est patent. En 2009, Nicolas Sarkozy a rompu avec l’attitude adoptée par tous ses prédécesseurs depuis le général De Gaulle. De Pompidou à Chirac en passant par Giscard d’Estaing et Mitterrand, tous ont refusé de réintégrer la France dans la structure militaire de l’OTAN. C’était une sorte de tabou de la politique étrangère française depuis 1966, ce qui n’empêchait d’ailleurs pas l’armée française de coopérer étroitement, au cas par cas, avec ses alliés. Nicolas Sarkozy l’a brisé en expliquant que la situation internationale avait changé, que la guerre froide était terminée, que le poids de la France serait plus grand dedans que dehors. Le président de la République ajoutait un argument avait semblé butter depuis des années toutes les initiatives lancées pour développer la politique européenne de défense (PESD) : derrière les propositions françaises, nos partenaires européens soupçonnaient toujours un noir désir de séparer l’Europe des Etats-Unis. En redevenant membre de plein droit de l’OTAN, Paris ouvrait la voie à des progrès de la politique de sécurité et de défense commune.

Des Européens sans l’Europe

Force est d’admettre qu’il faut bien déchanter. Depuis la réintégration de la France dans l’OTAN, les avancées spectaculaires de la PESD sont restées des vœux pieux. En 1998, l’accord franco-britannique de Saint-Malo avait permis de dépasser, sur le papier, la querelle de préséance entre l’OTAN et l’Union européenne. Il a débouché sur la création de nouvelles institutions auprès du Conseil européen. En revanche, les nouvelles capacités envisagées n’ont pas dépassé l’état de promesses. Les accords Sarkozy-Cameron, qui prévoient une coopération renforcée entre les armées française et britannique, constituent peut-être un progrès pour les relations bilatérales mais pas pour l’Europe de la défense. S’il en était besoin, la guerre en Libye en a apporté une démonstration éclatante. Au début du conflit, la France et la Grande-Bretagne ont pris la direction des opérations sans que l’Union européenne et ses diverses institutions ne soient le moins du monde impliquées. Peut-être le seront-elles si le volet purement humanitaire de l’opération se développe quand les armes se seront tues.

Cette absence de l’UE s’explique par diverses considérations. Certains Etats-membres sont hostiles à l’intervention elle-même. Et pas des moindres, si l’on songe à l’abstention de l’Allemagne au Conseil de sécurité sur la résolution 1973. La coopération tripartite – Paris, Londres, Berlin —, qui s’était esquissée au Conseil européen de Cologne en 1999, n’est plus de saison. Elle aurait pu constituer le noyau dur de la PESD.

Il n’est pas certain d’autre part que les Britanniques, qui n’ont jamais défendu un rôle accru de l’UE en matière militaire, soient mécontents de cette absence. Et d’une certaine incapacité de l’UE, dont ils sont en partie responsables. On voit mal en effet comment le comité militaire de l’UE aurait pu prendre en charge le commandement de l’opération « Aube de l’Odyssée ». Ce n’est pas la bonne volonté qui manque, ce sont à la fois les instruments de coordination et le soutien politique.

Dans le doute, l’OTAN

L’OTAN, elle, dispose des moyens nécessaires pour diriger une action du type de l’intervention en Lybie. Son entrée en lice apparaissait alors comme allant de soi. D’autant plus que les Américains, actifs sans être au premier plan, n’ont confiance que dans leurs généraux, ou à défaut, dans ceux estampillés OTAN. Les Européens peuvent le regretter mais ils n’ont qu’à s’en prendre eux-mêmes. Depuis des années, sauf rares exceptions, leurs budgets militaires sont en diminution et ils n’ont fait aucun effort sérieux pour « mutualiser » la rareté, selon le principe « dépenser moins, mais dépenser mieux ». Ils demeurent donc dans une position d’infériorité par rapport aux Etats-Unis. Ils n’ont d’autre issue, quoi qu’ils en aient, que de faire appel à l’organisation qui symbolise la présence américaine en Europe.

En France, les adversaires de la réintégration dans la structure militaire atlantique ont beau jeu de souligner que la politique Sarkozy n’a pas porté les fruits que le président attendait. Ils auraient tort de se priver. Plus curieuses sont les réticences officielles. Elles sonnent comme l’aveu que dans les rapports transatlantiques, décidément, rien n’a changé.