Le fantôme de Heinrich Brüning

Après avoir longtemps hésité, après avoir pris son temps pour évaluer l’ampleur de la crise et peser les conséquences politiques dans une année électorale, de ses décisions, la chancelière s’est mis d’accord avec ses partenaires et rivaux social-démocrates sur un plan de relance de 50 milliards d’euros sur deux ans.

Oskar Lafontaine, le président du nouveau parti de la gauche radicale Die Linke, qui n’est jamais avare d’une rosserie, a comparé la chancelier Angela Merkel au chancelier de la République de Weimar finissante, Heinrich Brüning, au pouvoir au moment de la Grande dépression (1930-1932). Oskar Lafontaine reproche à Angela Merkel de ne pas prendre la mesure de la crise économique qui frappe l’Allemagne comme la plupart des pays du monde et de refuser la mise en œuvre d’un plan d’envergure contre la récession. A l’instar du président Herbert Hoover aux Etats-Unis, le chancelier Brüning avait refusé, pour diverses raisons, de mener une politique anticyclique, et avait ainsi aggravé et l’inflation et le chômage. La conséquence devait être plus tragique en Allemagne qu’aux Etats-Unis, puisque cette défaillance du pouvoir politique a préparé l’arrivée d’Hitler.

Tournant à 180°

Mais Angela Merkel est plus pragmatique que dogmatique. Après avoir longtemps hésité, après avoir pris son temps pour évaluer l’ampleur de la crise et peser les conséquences politiques dans une année électorale, de ses décisions, la chancelière s’est mis d’accord avec ses partenaires et rivaux social-démocrates sur un plan de relance de 50 milliards d’euros sur deux ans.

Ce plan, qui a été annoncé lundi 12 janvier, représente 2% du PIB allemand. Il est le plus ambitieux de tous les Etats de l’Union européenne. Les principales mesures concernent aussi bien la relance de la consommation intérieure, avec des allègements fiscaux pour les plus bas revenus, une baisse des cotisations sociales, une prime aux familles, que le soutien aux investissements, avec des grands projets publics de l’Etat fédéral, des Länder et des collectivités locales et un fonds de soutien de 100 milliards d’euros pour le financement des entreprises.

Dans une large mesure, ce plan marque un tournant à 180° de la politique économique et financière allemande. Il empêchera le gouvernement fédéral d’atteindre son objectif de ramener à zéro l’endettement public en 2011. Il menace même le respect des critères de Maastricht - un déficit budgétaire inférieur à 3%- qui était une des vaches sacrées des responsables allemands depuis 1992.

L’inflation ou le chômage

Il est vrai qu’il y a plusieurs fantômes dans le placard de la politique économique allemande. Le déficit excessif en est un, avec l’inflation et le chômage. Mais si la doctrine officielle veut qu’à moyen terme le déficit soit responsable de l’inflation et du chômage, il est des moments où il faut faire des choix. Au moment de la première crise pétrolière, en 1974, le chancelier Helmut Schmidt, qui ne passait pas pour particulièrement laxiste, déclarait : « Je préfère 5% d’inflation que 5% de » chômage. »

Angela Merkel fait face à un dilemme analogue. La priorité est aujourd’hui de lutter contre la récession qui est là et le chômage de masse qui menace. Près de la moitié de l’activité économique allemande dépend des exportations et les Allemands ne peuvent pas seulement compter sur la croissance de leurs clients qui souffrent tout autant de la crise, qu’il s’agisse des pays industrialisés traditionnels ou des pays émergents. C’est la raison pour laquelle les dogmes d’hier ont été au moins mis entre parenthèses. A cette première leçon apportée par le plan allemand s’en ajoute une seconde : les Allemands étaient réticents devant les programmes coûteux de leurs partenaires européens qu’ils craignaient de devoir financer mais ils ne rechignent pas à s’affranchir de leurs réserves quand leurs intérêts nationaux sont en jeu.