De tous les dirigeants des pays de l’UE, Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois démissionnaire, est sans doute celui dont le profil se rapproche le plus de l’idéal de l’homme d’Etat européen. Dans la plupart des capitales d’Europe, les figures historiques des années 80 et 90 – Mitterrand, Kohl, Gonzalez, pour n’en citer que quelques-unes – ont cédé la place à des personnalités moins attachées à la construction européenne – Chirac puis Sarkozy en France, Schröder puis Merkel en Allemagne, Aznar puis Zapatero en Espagne, Berlusconi en Italie.
Jean-Claude Juncker est un témoin de cette époque révolue. Devenu ministre des finances de son pays en 1989 puis chef du gouvernement en 1995 lorsque Jacques Santer, son mentor, a été porté à la tête de la Commission européenne, il est à peu près le seul des grands Européens de la fin du XXème siècle qui soit resté au pouvoir jusqu’à ce jour. S’il devait quitter la scène après avoir été mis en minorité par le Parlement luxembourgeois pour sa mauvaise gestion des services de renseignement, son départ serait perçu comme un événement par l’ensemble des acteurs de la vie européenne.
Un négociateur souriant et obstiné
Jean-Claude Juncker aurait pu être élu président de la Commission européenne en 2004, à la place de José Manuel Barroso, s’il avait cédé aux pressions de ses collègues. Il aurait pu devenir en 2009, comme il le souhaitait, président du Conseil européen, au lieu d’Herman Van Rompuy, si Nicolas Sarkozy ne lui avait pas barré la route. Il a été pendant huit ans, de 2005 à 2012, président de l’Eurogroupe, réunion régulière des ministres des finances de la zone euro, qu’il avait contribué à créer. C’est cette fonction qui lui a assuré la plus grande visibilité et qui lui a offert son plus grand rôle, même si certains, comme Nicolas Sarkozy, lui ont reproché son manque de réactivité pendant la tourmente financière.
Ce négociateur souriant et obstiné, à l’humour parfois féroce, gros travailleur et habile diplomate, a été associé à toutes les péripéties de l’Union monétaire, du traité de Maastricht, qui a donné naissance à la monnaie unique, aux mesures prises depuis 2008 pour répondre à la crise. Il a également démontré son savoir-faire lorsqu’il a exercé en 1997 puis en 2005 la présidence tournante de l’UE avant la création d’une présidence stable par le traité de Lisbonne. En 2005, il a fait adopter une importante réforme du pacte de stabilité avant de faire face au rejet du traité de Constitution européenne en France et aux Pays-Bas. Au Luxembourg, le traité a été approuvé par 56,52% des électeurs.
La famille démocrate-chrétienne
Jean-Claude Juncker appartient à la famille démocrate-chrétienne, dont étaient issus les « pères fondateurs » de l’Europe unie. Il en a repris l’héritage. Ce fédéraliste convaincu associe à sa philosophie libérale une sensibilité sociale qui le rapproche des sociaux-démocrates. Il est surtout, selon l’ancien ministre Jean-Pierre Jouyet, qui fut un proche collaborateur de Jacques Delors, un « génie du compromis ». Sa position lui a permis de servir de médiateur entre la France et l’Allemagne, pays dont il parle couramment les langues. Il a su également s’imposer comme le porte-parole des petits Etats et leur intermédiaire vis-à-vis des grands. Son dévouement à l’Europe ne l’empêche pas toutefois de veiller aux intérêts de son Etat, par exemple en défendant le secret bancaire.
Homme de consensus, Jean-Claude Juncker gouverne son pays depuis 2004 avec les socialistes. Ce sont eux qui viennent de le lâcher, provoquant l’annonce de son départ. Mis en cause pour avoir toléré ou ignoré des pratiques illégales des services de renseignement luxembourgeois, le premier ministre a préféré anticiper le vote formel d’une motion de défiance en présentant sa démission et en appelant à de nouvelles élections. Celles-ci auront lieu le 20 octobre et Jean-Claude Juncker sera candidat à sa propre succession.