Le jeu dangereux de François Hollande en Arabie saoudite

François Hollande, en visite à Ryad, a conclu un accord triangulaire entre la France, l’Arabie saoudite et le Liban. Un jeu dangereux qui mêle Paris à la rivalité entre les chiites et les sunnites dans la région, estime Gilles Lapouge, dans un article pour le journal brésilen Estado de Sao Paolo.

Le Président François Hollande s’est taillé la réputation d’un indécis, d’un prudent, d’un hésitant perpétuel. C’est un tour de force, car en vérité, si on regarde la réalité et non les éditoriaux de la presse française, Hollande offre l’image souvent contraire.

Ce peureux et ce lâche a lancé en un an, et tout seul, deux guerres dangereuses au Mali et en Centrafrique. Il a voulu en ouvrir une troisième contre la Syrie de Bechar al Assad et il a fallu qu’Obama le plaque au sol avec l’aide de Poutine pour qu’il renonce à ses rêves.

Il n’empêche : on persiste à le dire prudent et timoré. Or il n’hésite pas à mettre les pieds dans les endroits les plus compliqués du monde. C’est ce qu’il vient de faire en donnant du lustre à sa visite à Riyad, la capitale de l’Arabie Saoudite pour « tailler une bavette » avec le roi Abdallah. Cela veut dire qu’il a le cœur bien accroché, car l’Arabie Saoudite est un royaume de miroirs biseautés, de logiques vertigineuses et de contradictions inavouées.

La raison de ce voyage à Riyad ? Le commerce, bien entendu. Hollande, comme un « bon petit Sarkozy », s’est nommé « vendeur numéro 1 » de l’industrie française et quand on pratique ce métier, Riyad est une cible délicieuse. Dans ce royaume du pétrole et des mille et une nuits, il y a du dollar et de l’appétit à la fois.

En plus, Hollande a pensé qu’il y avait, en ce moment, une « fenêtre de tir » car les Etats Unis, jusqu’ici bien aimés par Riyad, connaissent un moment de disgrâce. Le roi Abdallah n’a pas apprécié que Barack Obama renonce à écrabouiller le Syrien Bachar el Assad. Et Obama a commis au vu de Riyad, un autre péché : il a ouvert le dialogue avec l’Iran (à propos des programmes nucléaires de Téhéran). Or, l’Iran est chiite. L’Arabie saoudite est sunnite. Les deux puissants pays sont donc des ennemis mortels. C’est ce qu’on vérifie par exemple en Syrie où Riyad soutient la rébellion et ses alliés « islamistes » et « salafistes », alors qu’Obama s’oppose à toute livraison d’armes aux insurgés.

Or, dans le même temps, Hollande donnait depuis quelques mois de grandes satisfactions à la diplomatie saoudite. En Syrie, il était plus agressif qu’Obama et plus favorable à la rébellion. Même chose en ce qui concerne l’Iran : Hollande ne s’est pas montré très enchanté par les pourparlers avec Téhéran sur le nucléaire. Le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, a laissé tomber :« De toutes façon, les Iraniens vont tricher », paroles qui enchantent les oreilles du roi Abdallah.

Ainsi a-t-on, noté (ou imaginé) un « désamour » entre Riyad et Washington. Pourquoi, alors, ne pas en profiter pour pousser quelques pions économiques ? Le commerce entre France et Arabie Saoudite est déjà imposant et en plus, les produits dont Riyad a besoin sont de ceux, haut de gamme, que la France excelle à fabriquer : armement, défense des frontières, frégates, base navale, énergie nucléaire civile, traitement des eaux, etc… Tout cela pourrait faire beaucoup d’euros.

Mais Hollande est allé plus loin encore. Il a imaginé avec les Saoudiens un curieux mécanisme triangulaire pour venir en aide au Liban. Voici le schéma : l’Arabie saoudite accorde au Liban une aide de 3 milliards de dollars, aide avec laquelle le Liban achètera des armes françaises. Cette somme est énorme, surtout au bénéfice d’un petit pays dont l’armée est très modeste et dont la flotte aérienne est composée de quelques dizaines d’appareils hors d’âge.

En quoi cet étrange contrat est-il dangereux ? C’est que, une fois de plus, on retrouve en arrière-plan les deux grandes figures ennemies de la région moyen-orientale, l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite. L’Iran soutient le régime syrien de Bachar el Assad et il soutient aussi, au Liban, la milice chiite du Hezbollah.

Ainsi, en s’engageant à fournir au Liban pour 3 milliards de dollars d’armes payées par l’Arabie , Hollande fait le choix de provoquer et de braver le Hezbollah chiite au Liban ainsi que le régime en place en Syrie, celui d’Assad, et donc, ipso facto, il irrite le protecteur du Hezbollah et du régime syrien, c’est à dire l’Iran chiite et ses Gardiens de la Révolution.

Le pari est audacieux. Dangereux aussi car cette armée libanaise que Hollande et le roi Abdallah décident de doter d’armements puissants, est noyautée par des officiers chiites, dont certains sont proches du Hezbollah. Et qui pourraient faire dérailler le convoi.

 Si on élargit la prise de vue, on va brusquement sortir du champ moyen oriental pour se retrouver en Russie. Là les deux attentats perpétrés à Volgograd (l’ancienne Stalingrad) à la veille des JO d’hiver de Sotchi, sont couramment attribués à des Caucasiens islamistes.

Les attentats commis par des Caucasiens contre les Russes ne sont pas nouveaux. On se souvient qu’un des plus violents terroristes fut Chamil Bassaïev, qui réalisa une sanglante prise d’otages dans l’Ecole de Beslan, en 2OO4. Ce fut un massacre (344 tués dont I86 enfants ). Or, d’après le spécialiste Gérard Chaliand, Chamil Bassaïev était soutenu déjà par l’Arabie Saoudite.

Aujourd’hui, les mêmes flux sont à l’œuvre : de même qu’on retrouve, dans les groupes djihadistes qui noyautent les insurgés syriens contre Bachar el Assad, la main de l’Arabie saoudite, de même, il semble bien que Riyad aide les « fous de Dieu » causasiens qui se sont juré, à entendre un de leurs chefs probables , Dokou Oumarov, de perturber les jeux olympiques de Sotchi qui sont « des danses sataniques sur les os de nos ancêtres ».

Hollande, bien entendu, n’a rien à voir avec cela mais, en faisant cette étape à Riyad, il faut admettre qu’il ne fait pas preuve de timidité et qu’il « pense loin ». On verra aussi que cet humaniste connait assez bien les mécaniques de la Realpolitik (comme Merkel, comme Obama, comme tout le monde).

Mais pourquoi mêlerait-il à son combat politico-financier des notions complexes et éthiques ? La France sait depuis des années que les potentats de la famille royale saoudienne sont des hommes généreux et qu’ils distribuent des tas de dollars aux « djihadistes » qui sont au combat au Moyen Orient, par exemple en Syrie, ou en Afrique, par exemple au Mali, où, fort opportunément, l’armée française les a chassés de Tombouctou qu’ils étaient en train de mettre en poussière.