Le kaléidoscope politique tchèque et la présidence de l’UE

Un président « dissident » de l’Europe, un gouvernement à peine plus pro-européen mais surtout faible et divisé, une opinion qui s’interroge et se méfie des grosses machines bureaucratiques qui lui rappellent un passé pas si lointain, tel est le tableau que présente la République tchèque au moment où lui échoit pour six mois la présidence tournante de l’Union européenne.

Prague n’a pas encore ratifié le traité de Lisbonne et ne le fera sans doute pas avant le deuxième référendum irlandais prévu pour l’automne. La Constitution tchèque prévoit en effet que le Parlement « adopte » les traités internationaux que le président de la République « ratifie » ensuite. C’est sa signature qui vaut ratification et le président Vaclav Klaus est bien décidé à ne pas faire ce geste avant de connaître le sort de ses amis eurosceptiques irlandais. Il a le temps, le Parlement tchèque ne s’étant pas encore saisi de la question.

Quelles sont les forces en présence ? Au cours d’un séminaire sur les présidences française et tchèque de l’UE, qui s’est tenu vendredi 9 janvier à Paris, au Centre d’études des relations internationales (CERI), le directeur de l’Institut des relations internationales de Prague, Petr Drulak, a proposé une analyse du paysage politique tchèque qui dépasse les clivages entre partis traditionnels. Schématiquement, le gouvernement de Mirek Topolanek est soutenu par son propre parti le Forum civique (ODS), les Verts et les chrétiens-démocrates. Les sociaux-démocrates et les communistes sont dans l’opposition.

Petr Drulak distingue dans le monde politique tchèque quatre tendances sur la politique étrangère et européenne. D’abord, les internationalistes. Ce sont les héritiers des dissidents de l’ère communiste. Ils ont dominé les années 1990. Ils sont favorables à l’ancrage de la République tchèque à l’Occident, Europe et monde transatlantique (Etats-Unis) confondus. En retrouvant l’Ouest et ses valeurs après la révolution de velours de 1989-1990, la Tchécoslovaquie puis la République tchèque sont revenues à leur place naturelle que seul le stalinisme leur avait fait quitter après 1947. La défense des droits de l’homme à travers le monde est une de leurs priorités. L’ancien président Vaclav Havel est le symbole de cette orientation, maintenue par les Verts. Dans une certaine mesure seulement, car les Verts sont hostiles à la politique américaine, en tous cas à celle de George W. Bush.

Depuis les années 2000, ce groupe des internationalistes s’est dispersé. Certains de ses « membres » (le terme n’est pas approprié dans la mesure où il ne s’est jamais agi d’une organisation formelle), ont rejoint les deux tendances suivantes, les européistes ou les atlantistes.

Les européistes sont favorables à l’intégration européenne mais contrairement aux internationalistes, ils sont sceptiques vis-à-vis des Etats-Unis. Ils sont notamment opposés à l’installation sur le sol tchèque du radar qui doit faire partie du système de défense antimissile que les Américains prévoient de baser en Europe. La Pologne devrait, de son côté, accueillir les missiles intercepteurs de ce système, officiellement dirigé contre une attaque venue d’Iran. Les européistes étaient également hostiles à la participation de l’armée tchèque à la guerre en Irak.

Les atlantistes donnent la priorité à l’alliance avec les Etats-Unis qu’ils considèrent comme les garants de la sécurité tchèque. Ils sont hostiles à une intégration trop poussée dans l’Union européenne et donc opposés a traité de Lisbonne. Partisans du néolibéralisme économique, ils se méfient de la bureaucratie bruxelloise qu’ils comparent parfois à la bureaucratie soviétique dont ils ont souffert pendant quarante ans.

La quatrième et dernière tendance est celle des autonomistes. Ni Bruxelles, ni Washington. Ils ne cachent pas une certaine attirance pour Moscou et sont proches en cela des communistes.

Ces quatre tendances traversent l’ensemble des partis politiques. C’est pourquoi il est difficile d’apprécier le rapport des forces sur des sujets tel que l’acceptation du traité de Lisbonne ou la défense antimissile américaine.

Le président Vaclav Klaus, qui s’est mis en congé du parti qu’il a fondé en 1990, le Forum civique, a des sympathies pour les thèses des autonomistes. Dans la guerre russo-géorgienne, alors que le gouvernement tchèque et surtout le ministre des affaires étrangères, le prince Karel Schwarzenberg, imposé par les Verts, ne cachaient pas leur sympathie pour Tbilissi, Vaclav Klaus a donné raison à Vladimir Poutine.

Le président est cependant avant tout un pragmatique. Récemment en visite à Belgrade, il a expliqué aux Serbes que le seul moyen dont ils disposaient pour faire partie de la famille occidentale était l’adhésion à l’Union européenne. Mais il n’a pas pu s’empêcher d’ajouter : malheureusement.