Le laboratoire vote pour un clown

Le CERI (Centre d’études et de recherches internationales) en coopération avec l’université de Rome Luiss, a organisé à Paris, le mercredi 27 février, une journée d’études sur les élections italiennes. Le grand vainqueur du scrutin est le Mouvement 5 Etoiles du comique Beppe Grillo ; le pôle de la liberté de Silvio Berlusconi s’est maintenu. Bien qu’arrivée en tête à la Chambre et au Sénat, en termes de score national, la gauche coalisée autour du Parti démocratique, est la grande perdante de ces élections.

La gauche a remporté une victoire à la Pyrrhus, Monti s’est tiré une balle dans le pied, Berlusconi a fait ce que prévoyaient les sondages, et alors …Grillo est arrivé !

Cet OVNI a emporté le quart de suffrages à la Chambre des députés comme au Sénat. Il est le premier parti en Italie, la gauche et la droite ayant formé des coalitions. Grillo arrive donc deuxième à la Chambre où la coalition gauche autour du Parti démocratique a gagné et obtenu la prime qui lui assure une majorité confortable, il est premier au Sénat. De ce fait la gauche n’y a pas de majorité, et comme la Chambre et le Sénat ont les mêmes pouvoirs, l’Italie est ingouvernable.

Mais le Mouvement 5 étoiles (M5S – Movimento Cinque Stelle) n’a rien d’un petit parti faiseur de rois. Non seulement parce que Beppe Grillo représente 25% des électeurs, mais parce qu’il s’avère que le vote en sa faveur est national. Aucune autre formation n’est aussi largement représentée à travers toute l’Italie. Sur 110 départements, il est arrivé en tête dans quarante et quatre-vingt dix où il est premier ou deuxième ! La gauche est mieux au Nord et au Centre, la coalition de Berlusconi surtout au Sud où la Campanie, les Pouilles et la Sicile lui ont assuré le succès. La victoire de Beppe Grillo témoigne d’une diffusion sur tout le territoire italien. Cela n’était pas arrivé à un parti politique depuis la déconfiture de la démocratie chrétienne dans les années 1990.

Une assise aussi large frappe d’autant plus qu’il y a peu, le M5S faisait figure de groupuscule de militants de gauche ou écolo enracinés dans le Nord et le Centre. Sa transfiguration en un mouvement aussi large surprend. Beppe Grillo ne va jamais à la télévision et méprise les médias, il ne donne aucune interview aux journalistes italiens (étrangers, si) et ne communique que par internet. Son site est un des premiers d’Europe, le 3ème du monde, peut-être. La transformation n’a pas été homothétique, naturellement, et les 5 Etoiles sont devenues tout à fait hétérogènes parce que, depuis l’été, les électeurs de droite et de gauche habitent la même maison : à côté des revendications traditionnelles de la gauche sociale, et des fondamentaux rousseauistes des origines, on entend désormais d’étranges accents nationalistes, assez dissonants. C’est un autobus, dit-on, on monte, on prend son ticket, et on descend là où on veut. La juxtaposition de positions hétéroclites et déconnectées n’est-il pas le propre d’Internet dont Beppe Grillo a fait son miel ?

Les électeurs de Berlusconi

Parce que le vote pour Beppe Grillo était avant tout un vote contestataire, il a sans doute récolté des voix chez tous les électeurs qui en avaient assez des partis traditionnels… Mais peut-être moins chez les berlusconiens qu’ailleurs. La coalition menée par Silvio Berlusconi – on dirait un chat mort, s’est exclamé Beppe Grillo, et …oui – cette coalition a emporté les suffrages des électeurs comme l’avaient prévu les sondeurs, exactement. Pourquoi ses électeurs ont-ils voté Berlusconi ? C’est, affirme Giovanni Orsina, professeur à la Luiss, parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Ce sont des gens qui ne pouvaient pas voter pour la gauche, historiquement, par tradition anticommuniste, ni pour Monti, naturellement, puisqu’ils sont antieuropéens. Ils se méfient de l’Etat, mais n’étaient pas prêts à voter pour ce comique de Beppe Grillo ! Les électeurs de Berlusconi ne pensent pas que les partis sont meilleurs que la société civile. Ils ne veulent recevoir de leçons ni d’eux, ni des politiciens. Ils ne veulent pas qu’« on leur explique », comme le faisait il Professore Monti. Je sais ce que je veux ! Ils ne peuvent donc pas voter pour Bersani, qui avec sa culture de communiste historique a gardé l’idée que le Parti est meilleur que la société civile. 

En outre, cet électeur-là ne veut pas donner de l’argent à l’Etat, parce que c’est de l’argent perdu. Il ne veut pas payer de taxes. Il se doute bien que ce n’est pas possible de supprimer les impôts, comme l’a proposé Berlusconi avec la taxe foncière créée par Monti mais quand Berlusconi dit qu’il va la rembourser c’est quand même une indication vers moins d’impôts.

Tout ça ne veut pas dire que ses électeurs l’aiment. Ils se méfient de tout. Quelques-uns l’aiment mais la majorité se méfie de lui. Simplement, ils se méfient encore plus des autres.

L’autre raison du succès relatif de Berlusconi, qui perd tout de même dix points par rapport aux élections précédentes, c’est que personne n’est allé chercher les voix de ses électeurs. Sauf Beppe Grillo. Certains de la Ligue du Nord, le premier parti des petits entrepreneurs, ont voté pour lui, notamment des artisans de Vénétie. On a parlé de populisme. Mais le populisme de Berlusconi est un populisme libéral, celui de Beppe Grillo est démocratique. Le premier se référerait à la liberté des modernes, le second à celle des anciens. « La libertà non e uno spazio libero, e una participazione. »

Beppe Grillo a affaibli la distinction entre la droite et la gauche. Il lui faut désormais sauvegarder cette distinction, parce que son problème est d’éviter d’être poussé vers la gauche, et celui de ses adversaires est de l’y repousser pour lui enlever les votes de droite et ainsi l’affaiblir. Mais il est peu probable que Beppe Grillo maîtrise les Etoiles. Elles sont multiples, contradictoires et totalement imprévisibles.

Le débat sur l’Europe

L’Europe est devenue une question clivante. Mario Monti la représentait et se posait en figure médiatrice, non partisane. Mais il est descendu dans l’arène et y a laissé son statut, d’autant qu’il a affirmé son opposition à Berlusconi. Monti a cessé d’être Monti. Il y a tout perdu, et l’Europe avec lui ; l’accroissement du chômage et des inégalités est scandaleux. Jusqu’à quand ces politiques d’austérités seront-elles supportées ? Les Italiens disent qu’ils n’aiment pas l’euro ni l’Europe, ce sont des Européens malgré eux – mais de la première heure – l’Italie est un miroir de l’Europe — ou son laboratoire ?