Le mythe du schisme pré-électoral dans le tandem Medvedev-Poutine

Lors de l’arrivée à la tête de l’Etat russe de Dmitri Medvedev,en 2008, il était entendu que le dauphin de Poutine lui gardait la place pour les élections de 2012, Poutine ne pouvant se présenter aux élections de 2008 pour un troisième mandat présidentiel consécutif. En attendant, Poutine conservait les rênes du pouvoir en devenant premier ministre et en dirigeant la Russie en « tandem » avec Medvedev. Alors que dans l’opinion générale, Vladimir Poutine est resté le véritable dirigeant du pays, les medias se plaisent à relever les contradictions entre les approches des deux dirigeants, qui semblent s’être récemment multipliées. Il s’agirait selon certains de préparer le terrain pour les élections présidentielles de 2012, ce qui laisserait présager que les deux hommes seraient tous les deux candidats. Pour d’autres, ce cas de figure serait inenvisageable dans le contexte institutionnel actuel en Russie et si l’on prend en compte la sensible baisse de confiance vis-à-vis du pouvoir dirigeant que révèlent les sondages récents.

L’accrochage entre le président et le premier ministre qui récemment a fait le plus de remous a eu lieu fin mars, lorsque Poutine a qualifié d’« appel à la croisade » la résolution 1973 de l’ONU autorisant le recours à la force pour protéger les civils en Libye, terme jugé inacceptable par le président russe Medvedev. Un peu plus tôt en mars, sous la forte impulsion de Medvedev, était entrée en vigueur la loi de réforme de la police russe - qui jusqu’ici était l’un des piliers du pouvoir vertical de Poutine et un digne successeur de la milice soviétique avec ses abus de pouvoirs et sa corruption. Dans le même souci de libéralisation, le chef de l’Etat russe a pris un décret interdisant aux ministres de siéger au sein des conseils d’administration des sociétés étatiques, ce qui était auparavant un puissant moyen de contrôle par le pouvoir politique en place d’une économie russe fortement dominée par les compagnies publiques. C’est ainsi que l’un des proches de Poutine, Igor Sechin, un ancien du KGB, avait été amené à démissionner de son poste au sein de Rosneft, le géant pétrolier russe. Les dirigeants du tandem se sont d’ailleurs récemment lancés dans un jeu ayant pour objectif d’éliminer leurs partisans respectifs de l’échiquier, sans pour autant procéder à un remaniement profond du corps dirigeant, dont la composition reste très proche de ce qu’elle était sous la présidence de Poutine.

Des divergences entre les deux hommes avaient également été notées par le passé. Ainsi, lorsqu’en février Poutine avait déclaré que l’affaire des attentats terroristes de l’aéroport de Domodedovo pouvait en gros être considérée comme réglée à la suite de l’identification par les services spéciaux des auteurs présumés, Medvedev avait dénoncé une manœuvre médiatique inacceptable et avait réclamé qu’on reprenne l’enquête. De même, en décembre de l’année passée, à l’occasion du nouveau procès contre Michail Khodorkovski, l’ancien magnat du pétrole russe, Poutine l’avait considéré coupable avant même que le jugement ait été rendu. Medvedev avait alors réagi en rappelant que les hauts fonctionnaires ne peuvent exprimer leur position sur une affaire avant la décision du juge.

L’été dernier le projet de construction d’une autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg via la forêt de Khimki, projet validé par Poutine, avait été gelé par Medvedev, qui demandait une expertise, notamment environnementale. Ce conflit avait coûté sa place à l’ancien maire de Moscou soutenu par Poutine, Iouri Loujkov, que Medvedev démit de ses fonctions. Le président en place avait également émis par le passé des critiques voilées des mesures prises par le gouvernement russe pour gérer la crise financière de 2009.

Deux approches de l’économie

Au-delà de ces divergences ponctuelles, il existe dans le tandem une nette division dans l’approche de l’économie, de la politique et des libertés fondamentales, qui pourrait sous-tendre deux programmes électoraux différents. Sur le plan économique, alors que Vladimir Poutine s’était efforcé dès son arrivée au pouvoir de renverser le processus des privatisations conduites sous Eltsine, Medvedev prend parti contre les grandes entreprises étatiques qui, selon lui, faussent le climat des investissements. De même, le président actuel s’efforce de promouvoir la modernisation afin de constituer une économie de marché libre au travers des « quatre I » : institutions, infrastructures, investissement et innovation. Poutine, quant à lui, préconise la stabilité sans modification structurelle de l’économie. Pour le premier ministre, la modernisation doit avant tout être sociale, à l’image de la réforme des retraites qu’il a mis en place l’année passée, augmentant les charges sociales versées par les employeurs au profit des futurs travailleurs retraités. Medvedev souhaiterait voir ces charges diminuées dans le futur pour ne pas grever le développement des entreprises. La divergence entre les deux dirigeants russes s’impose particulièrement en matière de politique étrangère, où Poutine préconise le protectionnisme alors que Medvedev s’efforce de promouvoir les relations avec les Etats-Unis et l’Europe et l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce. La vision des libertés fondamentales distingue également les deux hommes, bien que les prises de position encourageantes de Medvedev restent au stade de la théorie.

Ainsi, alors que Medvedev affiche une approche libérale qui flatte les investisseurs russes et étrangers et touche une certaine élite urbaine, Poutine adopte un discours populiste, qui lui assure dans les sondages actuels la place de futur président, devant Medvedev. Les deux hommes du tandem se trouvent cependant en perte de terrain, sa popularité étant en forte baisse comparé à l’année passée, surtout du fait de la crise économique. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer que le pouvoir en place prendrait le risque de s’affaiblir en présentant l’un contre l’autre Medvedev et Poutine aux élections présidentielles, même en l’absence d’un véritable leader de l’opposition. Les spéculations sur la possibilité que Poutine ne se présente par aux élections semblent par ailleurs peu crédibles dans un contexte où il est soutenu par son parti et les électeurs, en sachant que les pouvoirs du président restent plus larges que ceux du premier ministre. Le face-à-face entre Poutine et Medvedev reste donc un doux rêve démocratique dans une réalité où Poutine apparaît comme le garant du pouvoir et de la stabilité aux yeux du peuple russe, des oligarques et des investisseurs étrangers, qui continuent à voir en lui le véritable dirigeant de la Russie.