Le mythe du traité de l’Elysée

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

Réunis à Berlin, les parlementaires allemands et français célèbrent le 50ème anniversaire du traité d’amitié et de coopération, signé à l’Elysée, le 22 janvier 1963, par Charles De Gaulle et Konrad Adenauer. Tous les dix ans, c’est le même cérémonial, ou peu s’en faut. Il n’y aurait rien à redire si ces festivités n’occultaient une vérité historique quelque peu différente des discours officiels. Le traité de l’Elysée n’a pas lancé le processus de la réconciliation franco-allemande après trois guerres (1970-1971, 1914-1918,1939-1945), comme le veut la vulgate des deux côtés du Rhin. Au mieux est-ce une étape dans une coopération qui avait débuté avant et qui doit être constamment réanimée.

De Gaulle s’est rallié très tardivement à la politique de coopération franco-allemande soutenue par des intellectuels qui sortaient des camps de concentration et qui voulaient éviter de renouveler les erreurs du traité de Versailles après la Première guerre mondiale. L’un d’entre eux était Joseph Rovan qui écrivit dès octobre 1945 dans la revue Esprit un article intitulé L’Allemagne de nos mérites. Il expliquait que l’Allemagne postnazie serait ce que nous saurions en faire. Ce fut aussi l’objectif du Mouvement européen, réuni pour la première fois à La Haye en 1948. Cette politique, mise en œuvre deux ans plus tard par Robert Schuman, ministre français des affaires étrangères, aidé de Jean Monnet, a conduit à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier entre la France et l’Allemagne, élargie à six, puis au Marché commun, ancêtre de l’Union européenne.

Cette politique a été combattue pendant plus de dix ans par les gaullistes, jusqu’au retour au pouvoir du général en 1958. Ce rappel relativise, sans le nier, le rôle de De Gaulle dans la réconciliation franco-allemande. De Gaulle était un maître des grands gestes symboliques : invitation du chancelier Adenauer dans sa maison de Colombey-les-deux-Eglises, prière commune dans la cathédrale de Reims, voyage triomphal en Allemagne à l’automne 1962, avec un discours remarqué à la jeunesse allemande, « la jeunesse d’un grand peuple, ja eines grossen Volkes » (en allemand dans le texte).

Le traité de l’Elysée devait être un couronnement. De Gaulle venait d’échouer à imposer à ses cinq partenaires du Marché commun sa conception d’une Europe politique. Il voulait la réaliser en bilatéral, avec l’Allemagne ; une alliance sans la Grande-Bretagne, indépendante par rapport aux Etats-Unis. Le premier geste des députés allemands pour accepter de ratifier le traité de l’Elysée fut de le chapeauter par un préambule rappelant l’engagement « atlantiste » de la République fédérale. De Gaulle en conclut que le traité était « mort-né ».

Le jugement était excessif. Le traité a porté ses fruits : création de l’Office franco-allemand de la jeunesse et échange de fonctionnaires entre les deux administrations (une pratique qui a tendance à s’étendre entre partenaires européens). Le président de la République et le chancelier – ou la chancelière – se rencontrent régulièrement, au moins une fois toutes les six semaines depuis 2001. Cependant, cette fréquence des contacts complétés par des rencontres entre les ministres des deux pays n’a pas conduit à la concertation quasi-permanente prévue par le texte de 1963. Les échanges sur les politiques économiques n’ont pas provoqué une convergence des économies plus divergentes que jamais. Dans le domaine diplomatique et militaire, les visions du monde et du rôle de l’Europe restent aux antipodes les unes des autres. Après avoir craint pendant des décennies, pour ne pas dire des siècles, la puissance militaire allemande, la France regrette aujourd’hui la prudence de Berlin dans les engagements à l’extérieur. L’intervention au Mali est le dernier exemple de ces différences.

Il est donc bon de célébrer le 50ème anniversaire du traité d’amitié et de coopération mais les discours d’(auto)congratulation ne doivent pas tromper sur l’état insatisfaisant de la concertation entre Paris et Berlin. Ce jubilé ne sera utile que s’il est une invitation à faire mieux.