Le plaidoyer de José Manuel Barroso

À neuf mois de l’expiration du mandat de la Commission européenne, son président José Manuel Barroso a accordé récemment un long entretien exclusif à l’Agence Europe (28 janvier 2009). Le président de la Commission réfute notamment les critiques sur son inaction dans la crise financière et économique et pointe du doigt la responsabilité des États membres. Extraits. Source http://www.agenceurope.com/ 

Agence Europe : Vos adversaires politiques au PE et ailleurs estiment que vous portez une part de responsabilité dans la crise financière et économique. Ils reprochent à votre Commission sa « passivité » en matière de régulation des marchés financiers au cours des dernières années. Que répondez-vous à ces critiques ?

José-Manuel Barroso  : La supervision en Europe est nationale. L’UE n’a malheureusement pas de compétence là dessus, ni la BCE ni la Commission. Jusqu’à présent, les États membres ont toujours réagi négativement aux propositions de la Commission. Ma Commission et les Commissions qui m’ont précédé n’ont jamais eu l’appui des États membres pour faire un effort plus coordonné de supervision au niveau européen. Donc, je ne peux pas accepter cette critique. Je ne dis pas que tout ce que nous avons fait est parfait, pas du tout. Je reconnais volontiers que dans certains domaines, on aurait peut-être pu faire plus et plus tôt. Nous avons fait certaines propositions. Mais soyons honnêtes : cette crise n’était pas du tout envisageable dans le contexte antérieur. Maintenant, tout le monde prétend qu’il avait vu tout ça venir. Ce n’est pas vrai ! J’ai moi-même parlé avec certains chefs d’État et de gouvernement pour essayer d’aller plus loin vers une approche européenne en la matière. La réponse a été absolument négative !

Prenons par exemple les agences de notation (sur lesquelles la Commission a présenté une proposition de règlement à la mi-novembre 2008). Nous avions déjà parlé depuis longtemps d’une telle proposition, mais la réponse des États membres a été absolument négative. Parfois, ceux qui ont bloqué à l’époque sont aujourd’hui les plus grands enthousiastes de la régulation ! Je peux vous assurer qu’entre août 2007 et le déclenchement de la crise actuelle avec la faillite de Lehman Brothers (15 septembre 2008), nous avons fait plusieurs tentatives. Mais elles ont reçu une fin de non-recevoir de la part des États membres, même de ceux qui ont une dimension financière importante.

(…) On critique la Commission en lui reprochant de ne pas faire suffisamment dans le domaine social. Je n’accepte pas cette critique car parfois ce sont les mêmes gens qui nous critiquent qui ne veulent pas que la Commission élargisse ses compétences en matière sociale pour des raisons de subsidiarité. Si on n’a pas pu faire plus, c’est parce que dans l’état actuel, certains États membres n’acceptent pas que la Commission joue un rôle plus fort dans le domaine social (…) Lors d’un dernier Conseil européen, j’ai proposé l’augmentation de l’aide alimentaire au sein de l’Union européenne parce qu’il y a encore beaucoup de gens pauvres en Europe qui ne savent pas se nourrir à leur faim. Vous savez quelle a été la réponse du Conseil européen ? La réponse a été : non ! Chacun prend soin de ses propres pauvres, m’a-t-on dit.

En invoquant des arguments de subsidiarité, on dit que l’Europe ne doit pas faire plus dans le domaine social. C’est un problème de fond qu’on devra résoudre (…) En outre, certains États membres - ceux qui ont voulu limiter les perspectives financières de l’UE à 1% de son PNB - se sont opposés à un budget plus ambitieux en matière sociale (…) Le marché intérieur est le grand allié des consommateurs (…) Chaque fois que nous luttons contre un cartel, nous défendons aussi les intérêts des citoyens. Qui d’autre que la Commission a le courage de faire face aux grandes multinationales, qu’elles soient européennes ou américaines ? Les citoyens ne se rendent pas toujours compte de cela.

Agence Europe : Certains reprochent à votre Commission d’avoir rogné son indépendance et abandonné son rôle de moteur de l’intégration européenne. Martin Schulz, le président du groupe socialiste au PE, estime même que la Commission est devenue le « secrétariat général du Conseil ».

José Manuel Barroso : Ce n’est pas vrai du tout. Toutes les grandes initiatives prises récemment en Europe ont été lancées par la Commission. Qui a lancé la politique énergétique commune ? C’était moi, il y a trois ans, après le Conseil européen informel de Hampton Court. Nous avons saisi le moment. Souvenez-vous il y a cinq ou six ans, quand on parlait d’une politique énergétique commune, les États membres disaient immédiatement non. Aujourd’hui, tout le monde comprend qu’il faut faire quelque chose et nous sommes en train de faire des progrès là-dessus. Et la lutte contre le changement climatique ? Qui a proposé de faire quelque chose ? Qui a proposé le paquet Énergie/Climat ? C’est nous, la Commission ! Nous avons pris non seulement l’initiative politique mais aussi technique. La Commission est à la fois le père et la mère du paquet Énergie/Climat. Après, nous avons évidemment travaillé avec les États membres pour le faire adopter sous Présidence française. Mais soyons clair et honnête : l’auteur du paquet n’est pas la France, ni l’Allemagne ou l’Angleterre, mais la Commission. Autre exemple : le plan européen de relance économique.

Certains n’ont pas encore compris que l’Europe travaille aujourd’hui dans un contexte qui est complètement différent de ce qu’il était quand l’Union comptait six, neuf ou douze membres (…) Aujourd’hui, la prise de décision n’a rien à voir avec ce qu’elle était à l’époque. Car, si les principes de nos pères fondateurs restent les mêmes, et je reste très attaché à ces principes, les problèmes sont devenus beaucoup plus complexes. S’il n’y a pas un partenariat entre les trois grandes institutions politiques - Commission, Conseil et Parlement européen - nous n’arriverons pas à des résultats. Certains pensent que la Commission doit tout le temps être en guerre avec les États membres. En agissant de la sorte, je pourrais peut-être augmenter ma cote de popularité, mais les résultats n’y seraient pas. Or, ce qui m’intéresse, moi, ce sont les résultats. Prenons l’exemple du paquet Énergie/Climat : sans l’appui de la France et du président Sarkozy, nous ne l’aurions pas. Car il faut l’accord du Conseil pour prendre des décisions.

Je mène une politique de partenariat actif, parfois de partenariat critique avec les États membres. Je suis pour un partenariat constructif entre les institutions. Car autrement nos citoyens ne comprendraient pas. Pour eux, c’est très flou ce que font les différentes institutions. C’est l’Europe qui compte. Et l’Europe doit apparaître unie. Je pense que mon concept d’un partenariat constructif entre les institutions est le seul qui peut permettre à l’Europe d’avancer.

Je suis pour un rôle éminemment politique de la Commission. La Commission représente l’intérêt général européen et je n’accepterai aucune réduction du rôle de la Commission, aucune. Je l’ai déjà dit très clairement aux États membres. Même en ce moment difficile de crise économique quand les États membres ont parfois tendance à prendre des mesures nationales et unilatérales. Certains voudraient que la Commission soit un peu plus flexible en matière de respect des règles et de l’acquis communautaires. Malgré toutes ces pressions, j’ai bien gardé ma Commission sur la ligne du respect du marché intérieur et des règles de la concurrence et des aides d’État. C’est comme ça qu’on défend le rôle de la Commission.

Les familles politiques pro-européennes doivent comprendre qu’elles ne sont pas les ennemies l’une de l’autre, mais qu’il faut combattre ensemble certains extrêmes qui sont les véritables adversaires de l’Europe et qui risquent de percer lors des élections européennes (…) J’espère que les grandes familles politiques européennes pourront aller aux élections en mettant en avant ce qu’il y a de positif en Europe, même si elles ne sont pas d’accord sur tout.