Les chefs de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, britannique, William Hague, en fin française, Alain Juppé, se sont succédé ces dernières semaines en Birmanie pour saluer la libéralisation dans ce pays, après plusieurs décennies de dictature militaire. Le président Thien Sein est un civil, même s’il est un général à la retraite ; de nombreux prisonniers politiques ont été libérés, dont les leaders de la révolte étudiante de 1988 ; la censure des médias s’est relâchée ; des élections libres sont promises pour le mois d’avril ; un accord a été passé avec la vieille guérilla des Karen. Et symbole par-dessus tout : Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, est libre de ses mouvements et de ses propos. Cette rapide évolution qui surprend les observateurs les mieux informés de la Birmanie, soulève au moins deux questions : le mouvement est-il durable ? Quelles sont les raisons qui l’ont provoqué ?
Ce n’est pas la première fois, en effet, que le régime militaire fait quelques gestes d’ouverture. En 1990 déjà, la junte qui avait pris le pouvoir à la suite du soulèvement étudiant de 1988, avait organisé des élections. Le but était de légitimer le coup d’Etat. Malheureusement pour les généraux, La Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti de Aung San Suu Kyi, avait emporté 80% des suffrages. Les généraux avaient annulé le scrutin et privé de liberté « la dame de Rangoun », fille du général Aung qui avait conduit le p ays à l’indépendance. Le même risque existe-t-il si les élections du mois d’avril ne donnent pas satisfaction aux militaires qui sont encore dans l’ombre du pouvoir civil ? Il ne faut pas écarter cette hypothèse, même si elle parait peu probable. Le mouvement de libéralisation qui dure depuis près d’un an s’est en effet accéléré au cours des dernières semaines. Rien n’est « irréversible », comme l’a dit Aung San Suu Kyi. Quitte à être critiquée par certains de ses amis de l’opposition, elle joue le jeu démocratique tout en restant sur ses gardes.
Cette évolution a amené aussi les diplomates occidentaux à se déplacer pour soutenir le changement. Ils l’ont fait avec prudence. Les sanctions que les Européens et les Américains imposent à la Birmanie ne seront pas levées du jour au lendemain mais leur disparition sera fonction des progrès réalisés par le régime birman vers le respect des droits de l’homme et des libertés publiques. C’est ce qu’on appelle la « conditionnalité ». Alain Juppé a eu raison de le rappeler.
L’imposition de sanctions répond, en partie au moins, à la deuxième question : pourquoi les généraux ont-ils fini par se mettre à l’écart ? Nombre de diplomates et d’observateurs doutent de l’efficacité des sanctions économiques. Surtout quand celles-ci ne sont pas respectées par tout le monde. La Birmanie a vécu pendant des années isolée du monde occidental mais elle était restée au sein de l’organisation des pays asiatiques (ASEAN) et elle bénéficiait d’un soutien quasi-inconditionnel de la Chine. Il n’en reste pas moins que l’économie birmane a souffert des sanctions occidentales et que le pays s’est appauvri. Il est resté à l’écart de la prospérité de ses voisins aisatiques.
Le soutien de Pékin avait son revers. L’omniprésence de la Chine a donné aux Birmans l’impression que le pays devenait une colonie du grand voisin. Les Chinois sont les principaux investisseurs étrangers alors que la Birmanie apparait comme un point d’appui stratégique pour la Chine qui cherche un accès à l’Océan indien. Une des récentes décisions du nouveau gouvernement birman a été de suspendre le projet de barrage hydro-électrique d’Irrawaddy, construit par la Chine pour 3,6 milliards de dollars. 90% de l’électricité produite devaient être exportés vers la Chine. Le gouvernement a ainsi fait droit à la protestation populaire contre cette centrale.
Pour desserrer l’emprise chinoise, les dirigeants birmans devaient trouver un accommodement avec les pays occidentaux. Et pour trouver cet accommodement, ils devaient amorcer une réforme d’un régime qui, ces dernières années, avaient été contesté dans la rue par des mouvements populaires, y compris, en 2007, par des manifestations de moines bouddhistes.
La conjonction de la pression extérieure et intérieure est certainement à l’origine de la récente libéralisation. Pour que le « printemps birman » dure plus d’une saison, cette pression doit être maintenue.