Le pseudo mea culpa d’Angela Merkel

Après deux défaites à des élections régionales, Angela Merkel a admis des erreurs dans la gestion de la crise des réfugiés. Près d’un million sont entrés en Allemagne depuis l’été 2015. Cet afflux et les difficultés d’intégration ont été exploités par le parti populiste de droite, Alternative pour l’Allemagne qui a fait une percé aussi bien dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale qu’à Berlin, et par la CSU bavaroise qui ne cesse de critiquer la "culture de l’accueil" prônée par la chancelière. Angela Merkel n’a pas nié avoir une part de responsabilité dans les problèmes actuels mais elle a réaffirmé le principe de sa politique.

La chancelière Angela Merkel
Fabrizio Bensch/Reuters

Après deux défaites de la démocratie-chrétienne à des élections régionales, le 4 septembre dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale et le 18 septembre à Berlin et à un an des élections générales en Allemagne, Angela Merkel vient de faire son « mea culpa ». Est-ce le début de la fin de règne ou s’agit-il d’une opération de sauvetage de dernière minute qui a encore des chances de réussir ? Les remarques prononcées lors d’une de ces conférences de presse traditionnelles après des scrutins montrent l’habileté politique de la chancelière. Cette habileté semblait l’avoir abandonnée depuis la crise des réfugiés. Mais rien n’est encore gagné.

Des réflexions soigneusement préparées

Ce « mea culpa » de celle qui est aussi présidente de la CDU s’était imposé après le plus mauvais résultat que son parti ait jamais obtenu aux élections régionales de Berlin (17,6%) et après qu’il eut été relégué à la troisième place, derrière le SPD et le nouveau parti populiste de droite, Alternative pour l’Allemagne (AfD), dans son propre fief du Mecklembourg-Poméranie occidentale. Angela Merkel a choisi de partager avec les journalistes, « un peu plus que d’habitude », ses réflexions postélectorales. Elle les a soigneusement lues à partir d’un texte bien préparé.

Ces « réflexions » contiennent trois messages qui donnent une idée de sa stratégie d’ici aux élections générales de septembre 2017 pour lesquelles elle n’a toujours pas dit si elle serait ou non candidate pour un quatrième mandat de chancelière.

Premièrement, elle admet des « erreurs dans la gestion de la crise migratoire ». Ces erreurs auraient « contribué » aux mauvais résultats électoraux. Elle a bien dit « contribué », une cause parmi d’autres, rien de plus. Elle ne pense pas que ces défaites ont été dues à sa politique migratoire. Elle n’enlève pas aux responsables régionaux de la CDU leur part de responsabilité. « Si la direction, le but et les convictions fondamentales de la politique migratoire n’ont pas été expliqués suffisamment, je veux faire de mon mieux », elle a dit. Ce n’est donc pas la politique migratoire elle-même qui était erronée, c’est sa mise en œuvre et en premier lieu la communication. Voilà, donc, son premier message : je ne vais pas changer de politique, mais je vais mieux expliquer ce qu’on fait.

Une phrase vidée de son sens

Deuxièmement, elle admet qu’elle ne veut plus répéter sa phrase devenue fameuse : « Wir schaffen das » ( Nous y arriverons). Ce slogan avancé au début de la crise, il y a un an, destiné à encourager les bénévoles et les administrations et à saluer les efforts déployés par des milliers de citoyens, aurait eu son sens perverti par l’utilisation qui en a été faite dans les débats politiques. Se servir de cette phrase serait désormais vide de sens.
Ceci constitue son deuxième message : Je ne vais plus me servir d’une phrase qui a été déformée par les autres. En apparence, elle cède donc à ceux qui la lui reprochent. En réalité elle n’abandonne pas l’idée que sa phrase soulignait. Au contraire, elle la répète à la fin de son intervention : « J’ai le sentiment que nous allons sortir de cette crise plus forts que nous n’étions au début de celle-ci. » En bref : nous y arriverons.

Troisièmement, elle admet que tout n’avait pas été prévu pour gérer correctement la crise. « Si je pouvais, a-t-elle dit, je remonterais le temps de plusieurs années afin de mieux nous préparer à la situation qui nous a pris de court à l’été 2015. » Elle parle de « plusieurs années », pas seulement de l’an dernier, objet de tant de critiques, d’incertitudes et de polémiques. Elle partage la responsabilité avec « le gouvernement », c’est-à-dire avec les autres partis de la coalition qui inclut le parti-frère bavarois, la CSU, et le SPD. La première demande un changement de politique. Le second exige plus de clarté.
Elle la partage également avec l’Union Européenne qui « n’est pas du tout organisée » pour résoudre cette crise. « Dieu sait à quel point nous n’avons pas pris les bonnes décisions ces dernières années », car « nous n’étions pas vraiment les champions du monde dans l’intégration (des migrants) », ajoute-t-elle en référence à l’Allemagne. « Nous avons attendu trop longtemps avant de nous occuper vraiment des problèmes des réfugiés (…) nous nous sommes reposés trop longtemps sur les accords de Dublin qui nous ont épargné un problème à nous, Allemands [sous-entendu, en faisant reposer le poids des arrivées de migrants sur les pays périphériques]. Ce n’était pas bon. »
C’est donc son troisième message : nous tous, et pas seulement moi, Angela Merkel, avons fermé les yeux devant les problèmes des réfugiés pendant des années. Ce sont des problèmes européens. C’est un appel aux partenaires européens de s’en occuper et de réviser les accords de Dublin, mais c’est aussi un appel aux responsables allemands d’assumer une responsabilité d’ensemble pour l’intégration des migrants, et ceci à long terme.

Une législation plus restrictive

Angela Merkel a cherché à se sortir d’une impasse politique sans se renier. Horst Seehofer, le ministre-président bavarois et chef de la CSU, qui a défié la chancelière dès l’arrivée des premiers réfugiés venant d’Autriche, l’a bien compris. Il n’a pas tardé à remercier Angela Merkel pour ses aveux publics, mais il a constaté en même temps qu’elle n’avait rien changé sur le fond. Et il a raison.

Elle promet d’expliquer mieux sa politique. Cela veut dire qu’elle va insister plus nettement sur les décisions prises et les lois adoptées depuis un an pour combler les lacunes devenues évidentes depuis le début de la crise. En fait, la politique migratoire de l’Allemagne a beaucoup changé en un an et d’autres réformes restrictives sont en discussion, comme le demande la CSU. Il devrait être plus difficile au parti bavarois de continuer à reprocher à la chancelière de ne rien faire.

Elle poursuit dans la voie qu’elle s’est tracée. Elle réclame des efforts au niveau européen. Elle laisse entendre qu’elle ne veut pas céder à la nouvelle mode d’un discours « post-factuel » qui fait florès dans la campagne électorale américaine. Vouloir contrer des sentiments par les faits, n’a pas de sens, dit-elle Elle ne met pas en cause nommément l’AfD ou la CSU dans l’exploitation des émotions. Mais elle affirme clairement qu’elle ne veut pas jouer ce jeu. Et si elle doit donner son sentiment, elle le dit sans ambages : Je suis sûre qu’on y arrivera. Toute la question est de savoir si cette fermeté sur le fond enrobée dans une apparente souplesse de forme convaincra les électeurs tentés par un vote protestataire.