Le remaniement continu

Par la voie d’un simple communiqué, quelques minutes avant que le Premier ne présente ses vœux à la presse, la présidence de la République a annoncé le mercredi 15 janvier un remaniement ministériel dont les contours étaient connus depuis plusieurs semaines déjà.

Dans l’histoire de la Cinquième République, un remaniement était considéré comme un moment fort de la vie politique. Le suspense était entretenu jusqu’à l’annonce de la composition de la nouvelle équipe. Celle-ci était faite par le Secrétaire général de la présidence de la République sur le perron de l’Elysée après plusieurs entretiens entre le chef de l’Etat et le Premier ministre.

Nicolas Sarkozy, illustrant de la sorte son hyper présidence ou sa « présidence consulaire » selon l’expression d’Alain Duhamel, rompt avec cette pratique et inaugure la méthode du remaniement continu. Les ministres n’étant plus à ses yeux que de simples collaborateurs du chef de l’Etat, y compris le Premier d’entre eux - collaborateurs eux-mêmes sous tutelle des conseillers de l’Elysée-, le président entend modifier cette équipe chaque fois que bon lui semble au gré des circonstances, distribuant bonnes et mauvaises notes en fonction des résultats obtenus par les uns ou les autres, sanctionnant celui-ci ou poussant celui-là, changeant cet autre d’emploi.

C’est d’ailleurs afin de pouvoir effectuer ces ajustements continus sans problème politique que Nicolas Sarkozy a fait introduire dans la réforme constitutionnelle la possibilité pour les ministres quittant le gouvernement de retrouver aussitôt leur siège à l’Assemblée nationale s’ils étaient auparavant députés sans avoir à affronter une nouvelle élection.

Ajustements et modifications permanentes

Le remaniement auquel on vient d’assister était si l’on peut dire non seulement connu depuis des semaines mais commencé dès avant Noël et nullement encore achevé. Les modifications sont désormais permanentes. Il suffit pour s’en convaincre de reprendre le fil des nominations passées, présentes et annoncées.

Le 4 décembre dernier, Nicolas Sarkozy présente son plan de relance au cours d’un discours prononcé à Douai. Le lendemain, la présidence de la République annonce la nomination de Patrick Devedjian au poste de « ministre responsable de la mise en œuvre du plan de relance ». L’objectif du chef de l’Etat est double : donner une solennité et une résonnance particulières à la relance économique décidée à l’Elysée et sortir du secrétariat général de l’UMP le nouveau promu auquel il est reproché de n’avoir pas sur faire du parti majoritaire une machine politique efficace au service du président. On notera, au passage, que cette nomination est un nouvel abaissement du chef du gouvernement dont on aurait logiquement pensé qu’il devait être le maître d’œuvre de ce plan de relance.

Très vite, on apprend à la suite de ce changement qu’après avoir proposé à son ami Brice Hortefeux la direction de l’UMP, le président a décidé de faire de Xavier Bertrand celui qui aura charge de mettre le parti présidentiel en bon ordre de marche pour l’échéance de 2012. Avant même les fêtes de fin d’année, il est donc de notoriété publique que l’ami très proche du président, Brice Hortefeux, remplacera Xavier Bertrand au ministère du Travail et des Relations sociales et qu’il sera lui-même remplacé au ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale par l’ancien socialiste Eric Besson, très apprécié du chef de l’Etat. Brice Hortefeux se voit en outre confier la mission de surveiller Xavier Bertrand à l’UMP avec le poste de secrétaire général adjoint du parti majoritaire. Le remaniement effectué hier était donc sans surprise.

Punitions et promotions

Quelques détails annexes viennent également confirmer la méthode sarkozienne du remaniement continu à la guise des impératifs présidentiels. Le chef de l’Etat récompense. Le transfuge du PS, Eric Besson en est un exemple. Il punit aussi ceux qui n’ont pas satisfait à l’obligation de résultats ou encore ont fait preuve d’indiscipline. Xavier Darcos, qui a dû suspendre sa réforme des lycées se voit désormais flanqué d’un haut commissaire à la Jeunesse en la personne de Martin Hirsch et d’un coach particulier, Richard Descoings, directeur de l’Institut de Sciences politiques, chargé de préparer une nouvelle réforme du Lycée. Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, remarquable spécialiste et avocate de l’écologie, elle devra remplacer Eric Besson au poste de Secrétaire d’Etat à la prospective et au développement de l’économie numérique, ce qui n’est pas vraiment une promotion mais plutôt une manière de sanctionner sa mésentente avec Jean-Louis Borloo et ses courageux coups de gueule.

Le remaniement est incessant. Le 12 décembre dernier, c’est Bruno Lemaire qui était nommé secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. Le remaniement continue et continuera. Prochain épisode programmé, la nomination d’un ou d’une secrétaire d’Etat à l’Ecologie en remplacement de Nathalie Kosciusko-Morizet mais aussi, un peu plus tard, le remplacement, avant les élections européennes, du ministre de l’Agriculture Michel Barnier qui devrait mener une carrière à Bruxelles.

Cette banalisation voulue des changements ministériels vient confirmer la concentration de tous les pouvoirs à l’Elysée. Le chef de l’Etat décide de tout et à tout moment, du taux du livret A ou de la suppression du juge d’instruction, de la personnalité qui dirigera l’audiovisuel public ou de la limitation du droit d’amendement des députés, de la conduite de l’UMP jusqu’au moindre bouton de guêtre de ses dirigeants, et chaque fois que besoin est en fonction de ses objectifs, des affectations successives de  ses « collaborateurs ministériels ».

En l’affaire, le Premier ministre, court-circuité, jusque dans ses vœux, par l’annonce du remaniement sous forme de communiqué de la présidence de la République, a gagné en durée ce qu’il a décidément perdu en autorité !