Le retour de l’industrie

S’il est vrai que la politique industrielle relève, pour l’essentiel, de la compétence des Etats membres, les Vingt-Sept appellent à une meilleure coordination des initiatives nationales, dans le cadre d’une véritable stratégie européenne.

L’idée d’une politique industrielle européenne, longtemps tenue pour étrangère aux missions de l’Union, fait désormais l’objet de discussions entre les Vingt-Sept au moment où ceux-ci cherchent à relancer la croissance en Europe. Le ministre français de l’industrie, Eric Besson, se fait le champion, dans un récent entretien au Monde, d’une politique européenne qui passe notamment par la définition de filières industrielles européennes et de pôles de compétitivité européens. Il affirme que l’Europe doit rester une terre de production, et non seulement de consommation. « Je n’ai jamais cru, dit-il, à l’émergence d’une société postindustrielle ». L’Union européenne doit donc se donner les moyens, selon le ministre français, d’encourager des « champions industriels » et, lorsqu’elle lance des appels d’offres financés sur ses propres fonds, de favoriser l’industrie européenne.

 

 Des actions d’appui, de coordination ou de complément

 

 Si cette vision est partagée par les partenaires de la France, comme le soutient M. Besson, ce sera la preuve que les esprits ont beaucoup évolué. Les traités accordent en effet peu de place à l’industrie, qui relève officiellement, au même titre que l’éducation ou la culture, des domaines « où l’Union peut décider de mener une action d’appui, de coordination ou de complément ». Autant dire qu’elle dépend, pour l’essentiel, de la responsabilité des Etats membres, et non de l’Union. Celle-ci veille principalement au respect des « conditions nécessaires à la compétitivité » et invite les Etats, « en tant que de besoin », à coordonner leurs actions. On est loin d’une politique commune.

 

 Mais la mondialisation puis la crise ont changé la donne. La Commission européenne a adopté le 28 octobre un rapport définissant « une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation ». Ce document a été approuvé le 10 décembre par les ministres européens de l’industrie. Il affirme que l’industrie est au coeur de l’Europe. « Si l’Europe veut rester un leader économique mondial, elle doit placer l’industrie sur le devant de la scène », proclament les dirigeants européens. Dix actions-clés sont proposées pour maintenir en Europe « une base industrielle forte, diversifiée et concurrentielle ».

 

 Défendre les intérêts stratégiques de l’Union

 

 Le commissaire européen à l’industrie, l’Italien Antonio Tajani, a précisé, le 6 janvier à Paris, à l’occasion du colloque « Nouveau monde, nouveau capitalisme », cette « nouvelle approche de la politique industrielle » en soulignant que « les services ne peuvent être un substitut à l’industrie mais doivent être considérées comme complémentaires ». Surtout, selon M. Tajani, « l’Union européenne doit avoir le courage de définir et de défendre ses intérêts stratégiques ». Parmi ceux-ci le commissaire mentionne le « know-how technologique de pointe ». Il ne s’agit pas, explique-t-il, de refuser tout investissement étranger direct en Europe mais de « s’assurer que les fruits des investissements en innovation européenne restent en Europe, au bénéfice des entreprises et des économies européennes ».

 

 M. Tajani va plus loin en recommandant la mise en place d’une autorité qui serait chargée d’examiner les investissements étrangers en Europe pour savoir « si les rachats d’entreprises porteuses de savoir-faire présentent un danger ou non ». Le commissaire européen ne cache pas qu’il pense notamment à la Chine, qui achète de plus en plus d’entreprises disposant de technologies-clés. La proposition de M. Tajani n’a pas encore été débattue par les Vingt-Sept. Elle a été aussitôt approuvée par M. Besson et rejetée par son homologue allemand. Mais la discussion n’est pas close.

 

Réorienter les programmes européens de recherche

 

 Au cours du même colloque, François Fillon a également plaidé pour une politique européenne de l’industrie. Celle-ci devrait faire appel à plusieurs leviers, dont l’un des plus importants est celui de la recherche. « Je pense, a déclaré le premier ministre français, qu’il faut réorienter les programmes européens de recherche pour maximiser leurs effets sur l’industrie ». M. Fillon a évoqué également, comme il l’avait fait dans son discours de politique générale le 24 novembre, la création d’un fonds européen de capital-risque en faveur des entreprises innovantes et d’un fonds européen des brevets pour valoriser les résultats de la recherche. Certes il y a loin des paroles aux actes. Des divergences subsistent entre les Etats membres. Mais la question d’une politique industrielle qui préserve les intérêts communs de l’Europe est désormais à l’ordre du jour.