La plupart des experts s’accordent à reconnaître que le sauvetage de la zone euro passe par un renforcement du lien fédéral en Europe. « L’Europe est à un tournant, affirme par exemple l’économiste Pierre-Cyrille Hautcoeur. Soit elle fait le choix d’une capacité politique, soit elle lance aux marchés le signe que seuls les gouvernements nationaux peuvent agir » (Le Monde du 15 juin). Ce tournant, les dirigeants européens paraissent aujourd’hui décidés à l’assumer : pour la première fois depuis les débuts de la construction européenne, ils se disent prêts à franchir le pas d’une véritable union politique.
Donner un contenu à la « gouvernance économique »
Reste à savoir dans quels domaines ils envisagent une nouvelle avancée de l’intégration européenne et de nouveaux transferts de souveraineté, selon quel rythme et quelles modalités. C’est l’un des enjeux de la querelle entre la France et l’Allemagne. C’est aussi le thème central du Conseil européen des 28 et 29 juin. Le moment est en effet venu, selon les chefs d’Etat et de gouvernement, de donner un contenu à la « gouvernance économique » de la zone euro, si souvent évoquée depuis le début de la crise financière et si souvent laissée à l’état de promesse.
L’urgence aidant, des progrès significatifs ont certes été accomplis, qui n’auraient pas été possibles en temps normal, mais ils n’ont pas été à la mesure des événements. « La crise de la dette publique a servi d’impulsion à un renforcement de l’Union économique et monétaire en permettant des avancées qui étaient impensables juste avant la crise », souligne Jacques Delors en préfaçant deux chercheuses de l’association Notre Europe, Sofia Fernandes et Eulalia Rubio. Cependant, ajoute-t-il, « malgré ces avancées la crise s’est aggravée au fil du temps car les réponses apportées ont été tardives et insuffisantes ».
Divergences sur le Mécanisme européen de stabilité
La première de ces réponses a été la mise en place d’un Fonds européen de stabilité financière, ou Fonds de secours, destiné à porter assistance aux Etats de la zone euro en difficulté. Il doit être remplacé, à partir de l’été 2012, par un dispositif permanent, le Mécanisme européen de stabilité, adopté par traité. Des divergences demeurent entre Paris et Berlin sur l’usage de ce dispositif. Un autre traité a été signé à l’initiative de l’Allemagne, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui impose aux Etats une forte discipline budgétaire et inscrit notamment dans leurs lois fondamentales une « règle d’or » contre les déficits publics. François Hollande refuse de le ratifier en l’état.
L’Union européenne s’est également dotée depuis janvier 2011, sur proposition de la Commission, d’un système de supervision financière. Celui-ci comprend un Comité européen du risque systémique, dont la mission est de détecter les menaces, et trois agences européennes, chargées de contrôler respectivement les banques, les marchés et assurances. « L’Union a franchi une étape majeure en créant quatre autorités européennes, à la fois macro et micro-économiques, dotées de pouvoirs conséquents », explique l’eurodéputée française Sylvie Goulard, l’un des rapporteurs de la directive.
Pour une Union bancaire
Il faut aller plus loin, dit aujourd’hui la Commission, et donner davantage de pouvoirs aux autorités européennes, en particulier vis-à-vis des banques. Le commissaire français Michel Barnier défend ainsi l’idée d’une « Union bancaire » qui se traduirait notamment par une supervision des banques plus centralisée et un mécanisme de garantie des dépôts. François Hollande est favorable à ce « fédéralisme bancaire » mais, à la différence d’Angela Merkel, le président français souhaiterait que le pilotage soit assuré par la Banque centrale européenne.
C’est aussi dans le cadre d’une « gouvernance économique » européenne que pourraient voir le jour des « euro-obligations », ou eurobonds, c’est-à-dire des obligations émises en commun par les pays de la zone euro, à un taux d’emprunt unique, afin de soulager les finances des Etats en difficulté. L’Allemagne s’y oppose. Elle redoute que ces Etats n’en abusent en se dispensant des efforts nécessaires pour redresser leurs comptes. Elle n’y consentirait qu’en échange d’un contrôle accru au niveau européen. « La mutualisation des dettes implique nécessairement un bond en avant vers l’union politique et le fédéralisme européen », affirme l’économiste Thomas Piketty dans la dernière livraison de l’hebdomadaire Marianne. François Hollande accepte cette perspective avec beaucoup de réticences.
Des mesures pour la croissance
Depuis l’élection du nouveau président français, l’accent n’est plus mis seulement sur la stabilité, mais aussi sur la croissance. Paris met en avant quatre priorités : la création de projects bonds, c’est-à-dire d’obligations orientées vers des projets d’investissements, la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI), la mobilisation des fonds structurels non utilisés, la taxation des transactions financières. L’Allemagne n’est pas hostile à ces mesures mais elle insiste aussi sur la nécessité de réformes structurelles pour améliorer la compétitivité des entreprises.
De nombreux désaccords subsistent entre les Vingt-Sept. L’axe franco-allemand, en particulier, est à l’épreuve. Mais à Paris comme à Berlin s’exprime une volonté commune de donner un nouvel élan à la construction européenne.