Nicolas Sarkozy mène, vis-à-vis de la Russie, une diplomatie active qui vise à faire de Moscou un partenaire de la France (et accessoirement de l’Europe). Quand il est en visite dans ce pays, que ce soit dans la capitale ou à Saint-Pétersbourg pour un forum économique, lorsqu’il reçoit le président Dmitri Medvedev à Paris ou à Deauville, il n’a que les mots « partenariat », « confiance » à la bouche. La Russie est « une grande puissance » avec laquelle nous avons « vocation à être amis ». Il est vrai que l’accession de Dmitri Medvedev à la présidence russe lui facilite la tâche. Le successeur de Vladimir Poutine est plus avenant que son mentor qui vient encore de se distinguer, au cours d’une émission de plus de quatre heures à la télévision officielle, par ses propos menaçants pour les libéraux, pourtant déjà réduits au silence. Il est « plus ouvert à l’Occident, à la modernisation de la Russie et à l’Etat de droit », note Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, lors d’un entretien avec le sous-secrétaire d’Etat américain chargé de l’Europe, cité dans une dépêche de l’ambassadeur à Paris et mis à la disposition de quelques grands journaux par Wikileaks.
Le tournant d’Heiligendamm
Le discours officiel du président de la République tranche avec ce que le candidat Sarkozy disait de la Russie de Poutine pendant la campagne électorale. Il n’avait alors pas de mots assez durs pour dénoncer la politique menée par le Kremlin, notamment en Tchétchénie. Le ton avait changé, toujours officiellement, quelques semaines après l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Sa première rencontre avec celui qui était encore le président de la Russie, lors du sommet du G8 à Heiligendamm en Allemagne en juillet 2007, l’avait, semble-t-il, beaucoup impressionné. A tel point que certains observateurs avaient eu l’impression que le président français en était sorti « grisé ».
C’est ce discours, optimiste sur les perspectives de modernisation économique et sociale de la Russie, peu regardant sur les violations des droits de l’homme et indifférent aux revers du processus de démocratisation, qu’entonnent certains diplomates français en poste à Moscou. Soit à cause d’une propension naïve à prendre pour argent comptant les explications officielles sur le « besoin congénital des Russes d’obéir à un maître », soit pour favoriser, croient-ils l’implantation économique française, soit encore pour chercher à plaire au plus haut niveau de l’Etat.
Les "bons voisins" sont les voisins soumis
C’est, semble-t-il, mal connaître la véritable analyse que font les plus proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy sur la réalité russe. Si toutefois les dépêches américaines sorties par Wikileaks en offrent une meilleure approche que la langue de bois destinée au grand public. Que disent en effet les conseillers diplomatiques du président de la République ? Que « la racine du problème, c’est le régime ». Un régime qui a les ornements de la démocratie mais dans lequel il n’existe aucun mécanisme permettant à l’opinion publique d’influencer le pouvoir. Or les détenteurs du pouvoir manquent cruellement d’une vision à long terme des besoins de leur pays, ne regardant pas au-delà de six mois et de leurs intérêts financiers.
A l’Elysée, on ne parait pas se faire beaucoup plus d’illusions sur la politique étrangère russe. Jean-David Levitte explique que pour le Kremlin, les « bons voisins » sont des voisins soumis, et il sait de quoi il parle puisqu’il a négocié, à Moscou, aux côtés de Nicolas Sarkozy, la fin de la guerre russo-géorgienne en août 2008, et l’accord que les Russes ne respectent toujours pas, deux ans plus tard. L’Elysée pense par ailleurs que, malgré l’assistance fournie par Moscou aux Occidentaux en Afghanistan, les dirigeants russes ne sont pas mécontents d’y voir l’OTAN embourbée ; de même que le statu quo sur le dossier nucléaire iranien leur convient parfaitement puisqu’il renforce leur rôle d’éventuel intermédiaire.
Entre ces trois discours, le dernier est certainement le plus réaliste. Le premier se comprend dans la mesure où Nicolas Sarkozy ne veut pas laisser à l’Allemagne une place privilégiée dans les relations politiques et économiques avec la Russie. Et aussi parce qu’il espère obtenir le soutien russe pour atteindre quelques uns des objectifs qu’il s’est fixés pour sa présidence du G20.
Selon le point de vue auquel on se place, le fossé entre les satisfecit publics et l’analyse plus lucide qui reste privée apparait comme une inadmissible hypocrisie ou comme l’expression d’une habile tactique. En tous cas, il est rassurant de penser que la diplomatie française n’est pas complètement dupe des fables qu’elle accrédite parfois sur la réalité russe contemporaine.