Leçons suédoises

Les élections en Suède le confirment, d’un scrutin à l’autre le paysage politique de l’Europe se transforme. La plupart des pays connaissent la même évolution et si les rythmes diffèrent, la direction est partout la même. Le principal phénomène, le plus spectaculaire, est l’irrésistible montée de l’extrême-droite, plus ou moins forte selon les Etats, mais aussi inquiétante à l’Est qu’à l’Ouest, au Nord qu’au Sud. Celle-ci ne cesse de gagner du terrain, face aux partis traditionnels, en développant une thématique nationaliste, anti-européenne, anti-immigrants. Elle a conquis le pouvoir en Italie. Dans presque toute l’Europe, son influence s’accroît.

L’autre phénomène majeur est le recul de la social-démocratie, dont les idées ne semblent plus en phase avec le mouvement du monde. L’effondrement du Parti socialiste en France a entraîné la quasi-disparition d’une force politique qui était dominante en Europe il y a quelques décennies avant de décliner dans la plupart des pays, notamment en Italie, où le Parti démocrate de Matteo Renzi a été sévèrement désavoué, et même en Allemagne, où le SPD n’a pas retrouvé son éclat d’antan. Le « logiciel » social-démocrate n’a pas résisté aux défis de la mondialisation au moment où celle-ci suscitait les angoisses dont allaient profiter les nouveaux populismes.

Les élections du 9 septembre en Suède témoignent, une fois de plus, de cette double tendance. Comme prévu, les Démocrates de Suède, dont toute la campagne a été axée sur le refus de l’immigration et la méfiance à l’égard de l’Union européenne, continuent leur ascension. De 5,7% en 2010, leur score est passé à 12,8% en 2014. En 2018, il est de 17,6%. Certes ils espéraient mieux, les sondages les portant à 20% et au-delà. Mais l’augmentation est régulière d’un scrutin à l’autre et si ce résultat ne leur suffit pas pour prétendre accéder au pouvoir, ils peuvent à bon droit se présenter comme les grands gagnants du scrutin.

Ils viennent désormais renforcer en Europe l’axe Salvini-Orban, qui plaide, au nom de la défense des souverainetés nationales, pour une Europe minimale, voire pour la fin de l’Union européenne, et qui s’apprête à démontrer sa force aux prochaines élections européennes, en mai 2019. Sous la direction de leur chef de file, Jimmie Akesson, qui a su en quelques années dédiaboliser son parti et le rendre acceptable à une grande partie de la population, les Démocrates de Suède se préparent à prendre part à la grande alliance populiste qui s’organise, de Rome à Budapest, pour combattre le projet européen en faisant du rejet des immigrés son cheval de bataille.

Que la Suède à son tour soit atteinte par cette tentation mortifère du repli et de la fermeture sur soi attriste ceux qui ont gardé de ce pays l’image d’une société ouverte et hospitalière. Cette société, dont l’ancien premier ministre Olof Palme, assassiné en 1986, fut naguère, parmi d’autres l’incarnation, s’était donné pour expression politique la social-démocratie, un système fondé sur le compromis social, la solidarité, l’Etat-providence. C’est aussi ce système qui est remis en question quand le Parti social-démocrate, dirigé par Stefan Löfven, premier ministre sortant, obtient 28,4% des voix alors qu’il rassemblait naguère près de 45 % des suffrages et dominait la vie politique.

Avant d’être contestées par une partie de la population, les valeurs de la social-démocratie n’étaient pas seulement défendues par la gauche suédoise, elles imprégnaient aussi la politique de la droite lorsque celle-ci dirigeait le gouvernement. Le prédécesseur de Stefan Lötven, Fredrik Reinfeldt, alors chef de file des Modérés, c’est-à-dire du parti conservateur, s’en réclamait comme lui. Le premier ministre sortant avait présenté le scrutin comme « un référendum sur l’Etat-providence ». Une partie des électeurs lui ont répondu qu’ils ne voulaient plus payer pour les immigrés. Malgré une économie en bonne santé, une croissance supérieure à 3%, un chômage autour de 6%, à mettre au crédit du gouvernement sortant, ils ont choisi de placer les questions identitaires au cœur de la campagne.

On ne savait pas encore, au lendemain du scrutin, si la coalition de gauche, même affaiblie, conserverait la direction du gouvernement ou si elle la céderait à la coalition de droite, malgré le relatif échec des Modérés, sa principale composante, mais ce qu’on savait à coup sûr, pour le déplorer, est qu’en Suède comme ailleurs les idées d’extrême-droite continuent de progresser et les idées de la social-démocratie de reculer. Une leçon à méditer pour les Européens à quelques mois du renouvellement du Parlement européen.