Les BRICS bousculent les puissances établies

L’apparition des grandes puissances émergentes sur la scène internationale modifie les rapports de force dans le monde. Parmi elles, les BRICS forment un groupe de pression efficace qui veut faire entendre sa voix.

Le monde, qui fut bipolaire pendant les années de la guerre froide, est devenu multipolaire depuis que des puissances émergentes aspirent à jouer un rôle sur la scène internationale. Les puissances établies, comme les Etats-Unis et les pays européens, doivent tenir compte de cette nouvelle donne, qui les oblige à repenser leur action diplomatique. L’Association des internationalistes organisait le 7 octobre à l’Ecole militaire une rencontre sur cette question pour tenter de mieux comprendre les revendications de ces pays qui, selon la formule du général Jean-Marc Duquesne, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), « ne veulent plus rester dans la salle des pas perdus de la communauté internationale ».

Quatre de ces puissances émergentes, les plus peuplées, les plus influentes aussi, ont été rassemblées, il y a douze ans, sous l’acronyme commun de BRIC – Brésil, Russie, Inde, Chine. Ce sont elles qui ont pris la tête de la résistance à la domination des Etats-Unis et, plus généralement, du monde occidental en exprimant, selon la chercheuse Folashadé Soulé-Kohndou, « un besoin de reconnaissance » et en demandant à être « associés aux décisions internationales ». Le concept de BRIC a été inventé, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, par un économiste britannique de la banque Goldman Sachs, Jim O’Neill, qui a quitté cette entreprise en 2013 pour rejoindre le cercle de réflexion bruxellois Bruegel.

Un concept politique

Jim O’Neill avait calculé que le PIB de ces quatre pays dépasserait celui des pays du G7 avant 2050. Parmi les 500 plus grandes firmes mondiales, note l’économiste Yann Echinard, sept était issues de ces quatre Etats en 2002. Leur nombre est de 61 dix ans plus tard. Leur poids sur l’économie mondiale est donc en croissance rapide. En 2011, l’Afrique du Sud a été ajoutée à la liste, transformant les BRICs (pluriel de BRIC) en BRICS (les quatre + South Africa). Jim O’Neill a désapprouvé cette adjonction, qu’il a jugée dénuée de sens. Mais entretemps le concept est devenu plus politique, et les BRICS ont estimé intéressant d’être représentés sur le continent africain. Chacun des cinq apparaît comme le champion de sa zone géographique.

Plusieurs économistes s’interrogent aujourd’hui sur la pertinence de ce concept. Si les BRICS ont beaucoup de traits communs, dont le principal est sans doute leur capacité d’attirer des investisseurs, ils présentent aussi de nombreuses différences. Deux d’entre eux – la Russie et la Chine – sont des Etats dirigistes peu soucieux de la démocratisation tandis que les trois autres se réclament de la démocratie et de l’économie de marché. Michel Foucher, président de l’Association des internationalistes, souligne que les Cinq ne forment pas un « ensemble géopolitique cohérent ». Il note en particulier que leurs relations mutuelles sont souvent conflictuelles. Yann Echinard parle d’ « unité de façade », voire de « trompe-l’œil », et d’« effet d’affichage ».

Un groupe de pression unitaire

La diversité des BRICS ne les empêche pas d’être perçus par leurs partenaires comme un groupe de pression unitaire. Cette représentation, explique Michel Foucher, « continue d’être structurante », en particulier pour les décideurs. « Ce sont les banques d’affaires, note-t-il, qui structurent notre géographie mentale ». Les Cinq « bousculent les puissances établies ». Ils affichent, selon Folashadé Soulé-Kohndou, « une personnalité diplomatique distincte », s’auto-représentent comme les leaders du Sud et formulent des propositions communes. Ils tiennent des réunions annuelles (la dernière a eu lieu à Durban en mars 2013). Ils ont mis en place un mécanisme de coopération interbancaire et s’apprêtent à créer une banque de financement d’infrastructures.

Même s’ils ont subi les effets de la crise et si leur avenir demeure incertain, les Cinq ont modifié le rapport de forces dans le monde. Ils font entendre leur voix au sein de la communauté internationale et tiennent tête aux anciennes puissances. Ils partagent le refus des atteintes à la souveraineté des Etats et au principe de non-ingérence, comme ils l’ont montré dans le conflit syrien. Ils sont méfiants à l’égard des politiques de sanction et d’intervention, fût-elle humanitaire, et le font savoir.

Comment réagissent les grands Etats occidentaux ? Ils ont compris, selon Gilles Andréani, ancien directeur du Centre d’analyse et de prévision du Quai d’Orsay, que le pouvoir devait être redistribué et ils l’acceptent, les uns, comme la France, par conviction, les autres, comme les Etats-Unis, par pragmatisme. Le G8 a ainsi donné naissance au G8 +5 (la Russie faisant partie du G8 et le Mexique complétant le groupe des 5). La question d’un élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies reste posée. La gouvernance mondiale ne se fera pas sans les BRICS et les autres émergents, notamment ceux que Jim O’Neill appelle les Next Eleven (les onze suivants), qui vont du Bangladesh au Vietnam, en passant par l’Egypte, le Nigéria et la Turquie.