Cette conférence, organisée par l’Institut d’études et de stratégie de l’Union européenne, avait pour titre « Comment répondre à l’agenda d’Obama ». Depuis l’élection du nouveau président des Etats-Unis, cet institut, qui dépend du Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, s’efforce de montrer trois choses : premièrement qu’il existe une nouvelle politique étrangère américaine ; deuxièmement que celle-ci reprend des thèmes et des principes depuis longtemps chers aux Européens ; et troisièmement, que l’UE se doit de répondre positivement aux demandes de Washington.
Selon le principe énoncé lors de la conférence par James Steinberg, secrétaire d’Etat adjoint : « Il n’y a pas de problème entre les Etats-Unis et l’UE. Il y a des problèmes ailleurs dans le monde que nous devons essayer de résoudre ensemble ». Ces problèmes sont traités par ailleurs dans un livre que l’Institut d’études et de stratégie vient de publier avec la collaboration d’une vingtaine de chercheurs venus des deux rives de l’Atlantique (The Obama Moment, European and American perspectives, sous la direction de Alvaro de Vasconcelos et Marcin Zaborowski).
Par une ironie de l’histoire, la réponse à la question de savoir si l’Europe était en mesure de tenir toute sa place dans le nouveau jeu international qui se met en place est venue pendant le Forum de Washington, avec l’élection de Herman van Rompuy comme président « stable » du Conseil européen, et de Catherine Ashton, comme Haut représentant pour la politique extérieure. En choisissant des personnalités peu connues, les dirigeants des grands pays européens – Sarkozy, Merkel, Brown, etc. – ont sauvegardé leur prééminence, a écrit le Financial Times, mais ils se sont ainsi « révélés être des pygmées géopolitiques ». Les premières réactions officieuses américaines confortent ce jugement du grand quotidien économique anglais.
Avant même que soit connue la décision des Vingt-Sept, Anne-Marie Slaughter, chef du planning staff du Département d’Etat, regrettait que l’UE ne se hisse pas au niveau de ses responsabilités. Dans les années 1990, a-t-elle déclaré en substance, on présentait l’Europe comme un modèle d’organisation régionale capable d’agir stratégiquement. Ce n’est plus le cas, sauf dans les domaines économique, grâce à la Commission de Bruxelles, et financier, grâce à la Banque centrale européenne. Les Etats-Unis ont intérêt à avoir un partenaire européen fort, sans attendre le consensus des vingt sept pays membres.
C’est vrai dans beaucoup de domaines. Par exemple pour la politique de désarmement, qui est une des priorités de Barack Obama. Le président est déterminé à maintenir un arsenal nucléaire aussi longtemps qu’il n’y aura pas le désarmement général qu’il a appelé de ses vœux dans son discours de Prague, en avril, mais il veut arriver à un accord avec les Russes sur un niveau de têtes nucléaires le plus bas possible, compatible avec une dissuasion minimale. Il veut renforcer le régime de non-prolifération, signer le CTBT (traité sur l’interdiction de tous les essais nucléaires), organiser l’année prochaine une grande conférence sur une nouvelle architecture nucléaire internationale. Il va se heurter à une vive opposition à l’intérieur des Etats-Unis, y compris dans le camp démocrate. Pour réussir, il a besoin du soutien des Européens.
Même exigence en ce qui concerne l’Afghanistan. Barack Obama prend son temps avant d’annoncer sa nouvelle stratégie au risque d’encourir le reproche d’indécision. Mais il doit concilier des exigences contradictoires. Il doit notamment éviter de laisser entendre que la guerre est une guerre américaine, même si le gros des ressources militaires et civiles est fourni par les Etats-Unis. Il a besoin de l’engagement des Européens, plus préoccupés toutefois de trouver une stratégie de sortie.
On pourrait multiplier les exemples. C’est le paradoxe de la situation. Le nouvel internationalisme multilatéral de l’administration américaine est plus compatible que jamais avec la mutualisation des souverainetés qui est un des principes de base de la construction européenne. Cette convergence explique l’enthousiasme avec lequel a été reçue l’élection de Barack Obama de ce côté-ci de l’Atlantique. Et pourtant, les Américains éprouvent une certaine frustration devant la timidité des Européens et ces derniers ont l’impression que la nouvelle administration ne leur accorde qu’une indifférence polie. Les appels lancés à l’Union européenne pour qu’elle parle d’une seule voix et les regrets exprimés parce qu’elle en paraît incapable, seraient alors moins l’expression d’une déception que la manifestation d’un désintérêt.