Les Européens cherchent à stopper l’expansion russe

Pour tenter d’arrêter l’offensive de Moscou, l’UE s’est engagée dans une politique de sanctions, qui s’accompagne d’un soutien déterminé au nouveau gouvernement de Kiev. La bataille diplomatique a commencé.

Personne n’étant prêt à livrer une nouvelle guerre de Crimée, un siècle et demi après la première, pour sauver la péninsule ukrainienne de l’emprise russe, la riposte des Américains et des Européens aux initiatives de Vladimir Poutine ne passera pas par la voie militaire. Elle sera politique et éventuellement économique. Faute de pouvoir annuler le référendum qui a rattaché la Crimée à la Russie, les Occidentaux se donnent deux objectifs. Le premier est de punir les Russes en déclarant inacceptable l’occupation d’un territoire étranger, en violation du droit international. Le second est de les dissuader d’étendre leur conquête à d’autres régions d’Ukraine.

En première ligne dans le conflit, l’Union européenne met progressivement en place sa réponse. Celle-ci s’exprime d’une part par un soutien déterminé au gouvernement ukrainien et d’autre part par des sanctions ciblées contre la Russie. Quoique divisés sur l’attitude à adopter à l’égard de Moscou, les Européens se sont mis d’accord pour signer le volet politique de l’accord d’association avec l’Ukraine, en attendant d’en signer le volet économique. C’est le refus par l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovich de souscrire à cet accord qui a provoqué l’insurrection d’une partie du peuple ukrainien et les événements qui ont suivi. Aussi sa signature revêt-elle aujourd’hui une importance symbolique. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a expliqué que par ce geste l’UE entend défendre le droit des Ukrainiens à vivre dans un pays qui se réclame de la démocratie et de l’Etat de droit. La présence du premier ministre ukrainien non reconnu par Moscou, Arseni Iatseniouk, à la cérémonie de signature montre que le gouvernement de Kiev est considéré par les Européens comme le représentant légitime du pays.

L’annulation du sommet du G8 à Sotchi

L’autre dimension de la réponse européenne concerne les sanctions décidées à l’égard de Moscou. Outre l’annulation du prochain sommet UE-Russie, sept des huit Etats membres du G8, dont les quatre Européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie), ont suspendu leur participation à la rencontre prévue en juin à Sotchi. Ils se réuniront sans la Russie à Bruxelles. Dans une déclaration commune, ils renouvellent leur condamnation de la violation du droit international par la Russie et menacent de prendre des sanctions qui auront des conséquences graves pour l’économie russe.

Avant de s’entendre éventuellement sur des sanctions économiques, les Européens ont adopté une série de sanctions individuelles (gel des avoirs, interdiction de visas) contre des officiels russes ou ukrainiens qui ont participé, d’une façon ou d’une autre, à l’annexion de la Crimée. Ils viennent ainsi d’élargir la liste des personnes visées. La première série de vingt-et-un noms épargnait les proches collaborateurs de Vladimir Poutine. Une liste supplémentaire de douze noms comble cette lacune en s’attaquant directement, comme la liste de Washington, à l’entourage du président russe. Cette progression correspond à l’idée d’une riposte graduée.

Sanctions contre des proches de Vladimir Poutine

Les nouvelles cibles de Bruxelles sont haut placées dans le dispositif de Vladimir Poutine. Le vice-président du gouvernement russe, Dmitri Rogozine, est visé pour avoir appelé publiquement à l’annexion de la Crimée. Pour la même raison, l’un des principaux conseillers du président russe, Sergueï Glaziev, est également cité. Une autre personnalité importante de l’entourage de Vladimir Poutine, Vladislav Sourkov, longtemps considéré comme son « éminence grise » et son idéologue en chef, figure sur la liste pour avoir « joué un rôle actif dans la préparation et l’organisation de la mobilisation des communautés locales de Crimée » contre les autorités ukrainiennes de la péninsule.

A ces trois collaborateurs du président russe s’ajoutent les présidents des deux chambres du Parlement : Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la fédération (Chambre haute) est punie pour avoir publiquement soutenu le déploiement des forces russes en Ukraine et Sergueï Narychkine, président de la Douma (Chambre basse), l’est pour avoir soutenu publiquement le traité de réunification de la Russie et de la Crimée. La députée Elena Mizoulina est inscrite sur la liste comme l’initiateur et le co-auteur de propositions législatives devant permettre aux régions d’autres pays de « rejoindre la Russie sans l’accord préalable de leurs autorités centrales ».

Autres personnalités sanctionnées, le directeur général de l’agence de presse Rossiya Segodnia, considéré comme la « figure centrale de la propagande gouvernementale » en faveur du déploiement de forces russes en Ukraine, et les présidents des commissions électorales de Crimée, Mikhaïl Malychev, et de Sébastopol, Valeri Medvedev, tenus pour responsables de l’organisation du référendum en Crimée. Enfin, trois militaires complètent la nouvelle liste : Alexandre Nosatov et Valeri Koulakov, commandants adjoints de la flotte russe de la mer Noire, responsables du commandement des forces russes qui ont occupé le territoire de la Crimée, ainsi que le général Igor Tourtcheniouk, commandant des forces russes en Crimée et commandant de facto des troupes déployées sur le terrain « que la Russie continue à désigner officiellement comme des milices locales d’autodéfense ». 

L’enjeu du gaz russe

Faudra-t-il compléter ces mesures par des sanctions économiques ? L’UE ne l’exclut pas, mais elle doit, à l’évidence, mesurer soigneusement ses actions de manière à ne pas se nuire à elle-même. Elle a donc chargé la Commission européenne d’une étude sur les effets de telles sanctions. On sait que l’Europe dépend largement du gaz russe, dans des proportions qui varient d’un pays à l’autre mais qui s’établissent en moyenne à 30 %. Mais réciproquement l’économie de la Russie dépend beaucoup de ses ventes de gaz aux Européens. Même si ceux-ci n’ont pas encore assez diversifié leur approvisionnement pour se passer des livraisons russes, des marges de manœuvre existent. Elles sont d’autant plus exploitables que les menaces européennes ont d’ores et déjà provoqué une fuite des capitaux qui aggravent la désaffection des investisseurs en Russie. Au-delà de la valeur symbolique des sanctions annoncées, l’UE ne manque pas d’atouts dans la bataille diplomatique qui s’engage.