Les Européens tentent de stabiliser les Balkans occidentaux

Sept chefs d’Etat et de gouvernement européens viennent de se réunir à Trieste avec les dirigeants des six Etats des Balkans occidentaux dont ils préparent, à une date encore indéterminée, l’adhésion future à l’Union européenne. En attendant cette échéance, ils s’efforcent de contribuer à l’intégration économique des pays de la région afin de leur permettre de surmonter leurs divisions. L’enjeu majeur est, pensent-ils, le maintien de la stabilité des Balkans occidentaux, menacée par des tensions internes. Certains leur reprochent de fermer les yeux, au nom de considérations géopolitiques, sur les atteintes à la démocratie.

Le premier ministre italien Paolo Gentiloni au sommet de Trieste
Le Temps

Depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et les conflits meurtriers qui en ont résulté, la politique européenne vise à favoriser l’intégration des Balkans occidentaux et à préparer leur adhésion à l’Union européenne. L’objectif principal est d’assurer la stabilité d’une région déchirée par ses tensions internes et de mettre l’UE à l’abri des turbulences qui pourraient menacer sa sécurité. Le sommet de Trieste, qui a réuni le 12 juillet, à l’initiative de l’Italie, sept Etats de l’UE (outre le pays hôte, l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, la France, le Royaume-Uni, la Slovénie) et six Etats des Balkans occidentaux (l’Albanie, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie) avait pour mission de confirmer et, si possible, d’accentuer le renforcement des liens entre les uns et les autres afin de conjurer les risques d’instabilité dont l’espace balkanique demeure porteur.

Ce sommet se tenait pour la quatrième fois, conformément au « processus de Berlin » lancé en 2014. Les participants ont insisté sur le développement de la coopération économique entre les Etats des Balkans, voire sur la mise en place d’un « marché commun », considéré comme le meilleur moyen de stabiliser la région, dont l’évolution, marquée par les blocages politiques et les conflits ethniques, suscite aujourd’hui des inquiétudes. « La stabilité politique de la région, c’est notre stabilité à nous », a déclaré le premier ministre italien, Paolo Gentiloni. Pour sa part, le président français, Emmanuel Macron, a souligné la nécessité d’arrimer ces pays à l’Union européenne « face aux déstabilisations » et aux crises qu’ils subissent.

Corruption et atteintes au droit

L’outil majeur de cet arrimage reste, bien entendu, la promesse d’adhésion, à plus ou moins long terme, de ces Etats à l’UE. L’état d’avancement des candidatures est variables selon les pays. Ceux qui ont le plus progressé sont la Serbie et le Monténégro. Avec la Serbie, 26 chapitres de négociation sur 35 ont été ouverts, dont deux – l’union douanière et les droits de propriété intellectuelle – le 20 juin dernier. Deux ont été clos, les plus faciles : éducation et culture, science et recherche. Avec le Monténégro, 28 ont été ouverts, dont les deux derniers – la libre circulation des biens et la politique régionale - également le 20 juin. Trois ont été clos. Pour les autres Etats des Balkans, l’examen n’a pas encore commencé.

L’obstacle principal sur la voie de l’adhésion est, dans tous ces pays, le mauvais fonctionnement du système politique, marqué par la corruption, les atteintes à l’Etat de droit, la faiblesse de la justice. Aux chapitres Appareil judiciaire et Droits fondamentaux, la Commission, qui est chargée des négociations, indique pour ces Etats, y compris la Serbie et le Monténégro : « Efforts considérables nécessaires ». Dans ses rapports annuels, elle appelle régulièrement les pays candidats à réformer leur administration publique, à renforcer l’indépendance de leur système judiciaire, à mieux respecter les règles de la démocratie et la liberté d’expression, à assurer une meilleure protection des droits fondamentaux.

L’impératif de la stabilité

Certains reprochent pourtant aux dirigeants européens de s’accommoder des manquements de ces Etats aux exigences démocratiques pourvu que ceux-ci maintiennent la stabilité de la région. Ils affirment que l’impératif de la stabilité l’emporte en fait sur celui de l’Etat de droit. Ils estiment que la plupart des pays des Balkans ont renoncé à l’idéal de la démocratie au profit de systèmes en partie autocratiques qui respectent formellement les droits des citoyens mais ne cherchent pas vraiment à réformer les institutions. Un politologue monténégrin, Srdja Pavlovic, chercheur à l’Université de l’Alberta (Canada), a même forgé le terme de « stabilitocratie » pour désigner des régimes semi-autoritaires qui sont tolérés par l’Occident, au nom de la stabilité, en dépit de leurs pratiques non-démocratiques.

Selon lui, les Balkans occidentaux correspondent à cette définition. Sont particulièrement visés les hommes forts de Serbie (Aleksandar Vucic) et du Monténégro (Milo Djukanovic), dont les régimes sont fondés sur la corruption et le clientélisme. L’Europe, dit-il, les soutient en vertu de considérations géopolitiques qui la conduisent à fermer les yeux sur les violations du droit. « L’Occident soutient les autocrates des Balkans pour maintenir la paix », titre l’hebdomadaire britannique The Economist en citant l’étude de Srdja Pavlovic. Mauvais calcul, affirme le chercheur monténégrin : loin de garantir la stabilité, le déni de démocratie favorise l’instabilité.